Lesarchives par sujet : musique de chambre avec trio osmose Du /00/1e16 au //099. Si vous ĂȘtes venu Ă la soirĂ©e Jazzons Brassens du groupe Entre-Nous ou Ă la soirĂ©e Adrien Marco Trio, vous commencez Ă connaĂźtre Maxime Ivachtchenko. Cette fois, il revient pour nous faire Ă©couter du bon vieux jazz comme on aime ! Repas Ă partir de 19h sur rĂ©servation uniquement. Concert
Le bord partie horizontale du chapeau va vous protĂ©ger du soleil et de la pluie. Tandis que la calotte partie verticale du chapeau va habiller votre tĂȘte. Le visage allongĂ© sera mise en valeur par un Fedora ou une capeline .Aussi, Quel style avec un chapeau homme ?Un chapeau en paille donnera un cĂŽtĂ© chic et dĂ©contractĂ© aux tenues de plage. Depuis quelques temps, le fĂ©dora noir connaĂźt une rĂ©surgence stylistique particuliĂšre dans le style casual. Il se marie bien avec une tenue oĂč domine le gris. Le hombourg et le trilby sâassocient bien avec un pantalon en jean ou un ailleurs, Quel chapeau porter cet Ă©tĂ© ?Votre chapeau de festivalierĂšre Plusieurs styles sâaffrontent, le chapeau de paille pour un look hippie estival avec en premiĂšre ligne le canotier, le panama et la capeline, le chapeau traveller digne des cowboys made in USA » ou le petit chapeau pratique comme le trilby, le porkpie ou le Quel chapeau dâĂ©tĂ© ? En Ă©tĂ©, on mise tout sur les accessoires les espadrilles compensĂ©es, le panier en osier et le chapeau stylĂ©. Panama, canotier, casquette ou capeline, on ose le chapeau et on lâassume au Quel chapeau Ă©tĂ© 2020 ?Le bob fait son grand retour depuis lâĂ©tĂ© 2020, avec la tendance des annĂ©es 1990 le denim, les jeans larges, les lunettes de soleil, hauts et imprimĂ©s qui nous font revenir 30 ans en arriĂšre. Le chapeau droit Ă bords larges canotier ou autre fait partie aussi des chapeaux chouchoux pour lâĂ©tĂ© chapeau porter avec un costume ?Nous vous recommandons le player, le chapeau melon, la cloche ou le trilby. La capeline, le fedora, et les chapeaux haut de forme seront Ă bannir. Si vous avez le visage rond, il faudra lĂ aussi chercher Ă harmoniser les formes en attĂ©nuant le cĂŽtĂ© chapeau avec une barbe ?Le poĂ©t fĂ©dora Ă marier avec une barbe longue. ⊠Pas de doute, le poet fĂ©dora apparaĂźt comme votre compagnon de mode chapeau porter quand on est chauve ?Faites tout de mĂȘme attention un chapeau dâhiver en laine ou en feutre sur une tĂȘte chauve peuvent vous causer des dĂ©mangeaisons. MĂȘme en Ă©tĂ©, votre peau sensible sera rapidement irritĂ©e sous votre beau chapeau de paille. La solution ? Portez un lĂ©ger bonnet ou un foulard en chapeau en 2021 ?Pour cette annĂ©e 2021, le canotier, chic et printanier est trĂšs tendance. La mode fait Ă©galement un bond en arriĂšre et le traditionnel bob des annĂ©es 1990 fait son grand retour. Pour un look sportswear, la casquette de baseball est idĂ©ale pour agrĂ©menter vos tenues de Couvre-chef pour lâĂ©tĂ© ?LâĂ©tĂ© canotier, panama, casquette⊠Aussi, sans aucune hĂ©sitation, nous vous conseillons dâopter pour un chapeau Ă la forme panama, en coton ou lin ou encore le classique mais non moins Ă©lĂ©gant chapeau de paille, version canotier-guinguette. Nâoublions pas la casquette en lin qui fera aussi trĂšs bien lâ chapeau pour lâĂ©tĂ© 2021 ? PHOTOS â Accessoires les 5 chapeaux tendances du printemps- Ă©tĂ© 2021 Le bob superstar. Aucune saison ne lui fait peur ! ⊠La casquette de baseball rĂ©tro. Cette tendance phare des nineties fait son grand retour en 2021 . ⊠La visiĂšre sportswear. ⊠Le chapeau de paille Ă larges bords. ⊠Le bibi chapeau pour lâĂ©tĂ© femme ? QUEL CHAPEAU PORTER CET ĂTĂ ? Le panama. Le panama a un cotĂ© baroudeur mais tout en restant chic. ⊠La capeline. Sans doute la version la plus fĂ©minine du chapeau , la capeline se veut Ă bords plus larges quâun panama. ⊠La savoir si un chapeau me va ?Ce quil faut retenir Visage court pensez au chapeau long et visage long pensez chapeaux larges. PrĂ©fĂ©rez trancher un visage doux avec un chapeau asymĂ©trique, et un visage brut avec un chapeau plus romantique comme une capeline, les hommes quant Ă eux pourront opter pour un choisir la couleur de son chapeau ?Rester dans sa palette, celle de son teint, chaud ou froid donne une direction pour choisir la couleur du chapeau. Il est aussi important de regarder la couleur des cheveux et des yeux, le tout doit fonctionner ensemble, câest une subtile alchimie. Lâessayage apporte parfois de trĂšs bonnes surprises !Quel chapeau de paille ?Le chapeau en paille Contrairement au panama ou au raffia, la paille est plus dure, ce qui en terme de rendu donne un chapeau plus rigide les bords ne sont pas tombants. Ces chapeaux ne se roulent pas, ne se tordent pas. Il se dĂ©cline sous toutes les formes chapeau canotier, chapeau capeline, trilby ou pork chapeau porter en ville ?Le chapeau en voyage pratique et populaire ! La capeline est effet le chapeau fĂ©minin par excellence qui embellit et ne laisse aucune chance au soleil ! Vous prendrez un panama si vous avez envie dâaller protection et style assortir son chapeau ?Le coordonner Ă sa tenue Une tenue dĂ©jĂ chargĂ©e motifs, couleurs vives etc ne nĂ©cessite pas un chapeau voyant. A lâinverse, on peut miser sur un couvre-chef original pour faire le charme dâune tenue trop sobre. Si vous nâĂȘtes pas sĂ»r de vous, choisissez dans un premier temps des coloris porter un trilby ?On peut le porter lĂ©gĂšrement penchĂ© sur lâarriĂšre du crĂąne ou sur un cĂŽtĂ©, pour un style plus dĂ©contractĂ©. Selon nous, le trilby est un compromis parfait entre le style dĂ©contractĂ© dâune casquette et lâĂ©lĂ©gance dâun chapeau fedora Ă bord plus porte le chapeau melon ?Le commissaire Maigret porte le chapeau melon jusquâĂ ce que le rĂŽle soit jouĂ© par Jean Gabin dans Maigret tend un piĂšge, sorti en 1958.Quelle Couvre-chef choisir ?Parmi les modĂšles de couvreâchefs les plus connus, on peut citer le Trilby, la FĂ©dora, le Canotier, le haut de forme, le chapeau melon, le Panama, le chapeau de cowboy, le bĂ©ret, le bob, le bonnet ou encore le sombrero, la casquette gavroche⊠Bref ce nâest pas ce qui manque en matiĂšre de choix !Comment ĂȘtre beau quand on est chauve ?Les poils du visage peuvent Ă©quilibrer la calvitie et aider Ă donner un aspect nerveux. Il nâest pas nĂ©cessaire dâavoir une barbichette complĂšte, mais le fait de jouer avec diffĂ©rents styles de poils faciaux peut donner une bonne apparence aux hommes bonnet quand on porte des lunettes ?De plus, si vous portez des lunettes, il serait prĂ©fĂ©rable de dissimuler les bras sous le bonnet. Cet hiver a Ă©tĂ© le retour en force du bĂ©ret femme, bonnet dâhiver par excellence trĂšs facile Ă porter pour tomber dans un style purement sâappelle le petit chapeau des musulmans ?La chĂ©chia arabe ێۧێÙŰ© est un couvre-chef masculin portĂ© par de nombreux peuples câest lâactualitĂ©, dĂ©cryptage des tendances, conseils et brĂšves inspirantes, nâoubliez pas de partager lâarticle !Contributeurs 28 membres
Voicitoutes les solution Chapeau de paille portĂ© au temps des guinguettes. CodyCross est un jeu addictif dĂ©veloppĂ© par Fanatee. Ătes-vous Ă la recherche d'un plaisir sans fin dans cette application de cerveau logique passionnante? Chaque monde a plus de 20 groupes avec 5 puzzles chacun. Certains des mondes sont: la planĂšte Terre, sous la
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Lesarchives par sujet : hop corner trio. Précédent 12 131415 16 Suivant CONCERT JAZZ. Musique, Concert Gérardmer 88400 Le 30/08/2022 Trio Jazz (Prism). Billetterie à l'office de tourisme : Lundi et mardi 11h-12h et 15h-16h.
PRĂPARATIFS DE VOYAGE. Monsieur Patissot, nĂ© Ă Paris, aprĂšs avoir fait, comme beaucoup dâautres, de mauvaises Ă©tudes au collĂšge Henri-IV, Ă©tait entrĂ© dans un ministĂšre par la protection dâune de ses tantes, qui tenait un dĂ©bit de tabac oĂč sâapprovisionnait un chef de division. Il avança trĂšs lentement et serait peut-ĂȘtre mort commis de quatriĂšme classe, sans le paterne hasard qui dirige parfois nos destinĂ©es. Il a aujourdâhui cinquante et deux ans, et câest Ă cet Ăąge seulement quâil commence Ă parcourir, en touriste, toute cette partie de la France qui sâĂ©tend entre les fortifications et la province. Lâhistoire de son avancement peut ĂȘtre utile Ă beaucoup dâemployĂ©s, comme le rĂ©cit de ses promenades servira sans doute Ă beaucoup de Parisiens qui les prendront pour itinĂ©raires de leurs propres excursions, et sauront, par son exemple, Ă©viter certaines mĂ©saventures qui lui sont advenues. M. Patissot, en 1854, ne touchait encore que 1 800 francs. Par un effet singulier de sa nature, il dĂ©plaisait Ă tous ses chefs, qui le laissaient languir dans l'attente Ă©ternelle et dĂ©sespĂ©rĂ©e de l'augmentation, cet idĂ©al de l'employĂ©. Il travaillait pourtant ; mais il ne savait pas le faire valoir et puis il Ă©tait trop fier, disait-il. Et puis sa fiertĂ© consistait Ă ne jamais saluer ses supĂ©rieurs d'une façon vile et obsĂ©quieuse, comme le faisaient, Ă son avis, certains de ses collĂšgues qu'il ne voulait pas nommer. Il ajoutait encore que sa franchise gĂȘnait bien des gens, car il s'Ă©levait, comme tous les autres d'ailleurs, contre les passe-droits, les injustices, les tours de faveur donnĂ©s Ă des inconnus, Ă©trangers Ă la bureaucratie. Mais sa voix indignĂ©e ne passait jamais la porte de la case oĂč il besognait, selon son mot "Je besogne... dans les deux sens, monsieur". Comme employĂ© d'abord, comme Français ensuite, comme homme d'ordre enfin, il se ralliait, par principe, Ă tout gouvernement Ă©tabli, Ă©tant fanatique du pouvoir... autre que celui des chefs. Chaque fois qu'il en trouvait l'occasion, il se postait sur le passage de l'empereur afin d'avoir l'honneur de se dĂ©couvrir et il s'en allait tout orgueilleux d'avoir saluĂ© le chef de l'Ătat. A force de contempler le souverain, il fit comme beaucoup il l'imita dans la coupe de sa barbe, l'arrangement de ses cheveux, la forme de sa redingote, sa dĂ©marche, son geste - combien d'hommes, dans chaque pays, semblent des portraits du prince ! - Il avait peut-ĂȘtre une vague ressemblance avec NapolĂ©on III, mais ses cheveux Ă©taient noirs - il les teignit. Alors la similitude fut absolue ; et, quand il rencontrait dans la rue un autre monsieur reprĂ©sentant aussi la figure impĂ©riale, il en Ă©tait jaloux et le regardait dĂ©daigneusement. Ce besoin d'imitation devint bientĂŽt son idĂ©e fixe, et, ayant entendu un huissier des Tuileries contrefaire la voix de l'empereur, il en prit Ă son tour les intonations et la lenteur calculĂ©e. Il devint aussi tellement pareil Ă son modĂšle qu'on les aurait confondus, et des gens au ministĂšre, des hauts fonctionnaires, murmuraient, trouvant la chose inconvenante, grossiĂšre mĂȘme ; on en parla au ministre, qui manda cet employĂ© devant lui. Mais, Ă sa vue, il se mit Ă rire, et rĂ©pĂ©ta deux ou trois fois "C'est drĂŽle, vraiment drĂŽle !" On l'entendit, et le lendemain, le supĂ©rieur direct de Patissot proposa son subordonnĂ© pour un avancement de trois cents francs, qu'il obtint immĂ©diatement. Depuis lors, il marcha d'une façon rĂ©guliĂšre, grĂące Ă cette facultĂ© simiesque d'imitation. MĂȘme une inquiĂ©tude vague, comme le pressentiment d'une haute fortune suspendue sur sa tĂȘte, gagnait ses chefs, qui lui parlaient avec dĂ©fĂ©rence. Mais quand la RĂ©publique arriva, ce fut un dĂ©sastre pour lui. Il se sentit noyĂ©, fini, et, perdant la tĂȘte, cessa de se teindre, se rasa complĂštement et fit couper ses cheveux courts, obtenant ainsi un aspect paterne et doux fort peu compromettant. Alors, les chefs se vengĂšrent de la longue intimidation qu'il avait exercĂ©e sur eux, et, devenant tous rĂ©publicains par instinct de conservation, ils le persĂ©cutĂšrent dans ses gratifications et entravĂšrent son avancement. Lui aussi changea d'opinion ; mais la RĂ©publique n'Ă©tant pas un personnage palpable et vivant Ă qui l'on peut ressembler, et les prĂ©sidents se suivant avec rapiditĂ©, il se trouva plongĂ© dans le plus cruel embarras, dans une dĂ©tresse Ă©pouvantable, arrĂȘtĂ© dans tous ses besoins d'imitation, aprĂšs l'insuccĂšs d'une tentative vers son idĂ©al dernier M. Thiers. Mais il lui fallait une manifestation nouvelle de sa personnalitĂ©. Il chercha longtemps ; puis, un matin, il se prĂ©senta au bureau avec un chapeau neuf qui portait comme cocarde, au cĂŽtĂ© droit, une trĂšs petite rosette tricolore. Ses collĂšgues furent stupĂ©faits ; on en rit toute la journĂ©e, et le lendemain encore, et la semaine, et le mois. Mais la gravitĂ© de son attitude Ă la fin les dĂ©concerta ; et les chefs encore une fois furent inquiets. Quel mystĂšre cachait ce signe ? Ătait-ce une simple affirmation de patriotisme ? - ou le tĂ©moignage de son ralliement Ă la RĂ©publique ? - ou peut ĂȘtre la marque secrĂšte de quelque affiliation puissante ? - Mais alors, pour la porter si obstinĂ©ment, il fallait ĂȘtre bien assurĂ© d'une protection occulte et formidable. Dans tous les cas il Ă©tait sage de se tenir sur ses gardes, d'autant plus que son imperturbable sang-froid devant toutes les plaisanteries augmentait encore les inquiĂ©tudes. On le mĂ©nagea derechef, et son courage Ă la Gribouille le sauva, car il fut enfin nommĂ© commis principal, le 1er janvier 1880. Toute sa vie avait Ă©tĂ© sĂ©dentaire. RestĂ© garçon par amour du repos et de la tranquillitĂ©, il exĂ©crait le mouvement et le bruit. Ses dimanches Ă©taient gĂ©nĂ©ralement passĂ©s Ă lire des romans d'aventures et Ă rĂ©gler avec soin des transparents qu'il offrait ensuite Ă ses collĂšgues. Il n'avait pris, en son existence, que trois congĂ©s, de huit jours chacun, pour dĂ©mĂ©nager. Mais quelquefois, aux grandes fĂȘtes, il partait par un train de plaisir Ă destination de Dieppe ou du Havre, afin d'Ă©lever son Ăąme au spectacle imposant de la mer. Il Ă©tait plein de ce bon sens qui confine Ă la bĂȘtise. Il vivait depuis longtemps tranquille, avec Ă©conomie, tempĂ©rant par prudence, chaste d'ailleurs par tempĂ©rament, quand une inquiĂ©tude horrible l'envahit. Dans la rue, un soir, tout Ă coup, un Ă©tourdissement le prit qui lui fit craindre une attaque. S'Ă©tant transportĂ© chez un mĂ©decin, il en obtint, moyennant cent sous, cette ordonnance "M. X..., cinquante-deux ans, cĂ©libataire, employĂ©. - Nature sanguine, menace de congestion. - Lotions d'eau froide, nourriture modĂ©rĂ©e, beaucoup d'exercice. "Montellier, Patissot fut atterrĂ©, et pendant un mois, dans son bureau, il garda tout le jour, autour du front, sa serviette mouillĂ©e, roulĂ©e en maniĂšre de turban, tandis que des gouttes d'eau, sans cesse, tombaient sur ses expĂ©ditions, qu'il lui fallait recommencer. Il relisait Ă tout instant l'ordonnance, avec l'espoir, sans doute, d'y trouver un sens inaperçu, de pĂ©nĂ©trer la pensĂ©e secrĂšte du mĂ©decin, et de dĂ©couvrir aussi quel exercice favorable pourrait bien le mettre Ă l'abri de l'apoplexie. Alors il consulta ses amis, en leur exhibant le funeste papier. L'un d'eux lui conseilla la boxe. Il s'enquit aussitĂŽt d'un professeur et reçut, dĂšs le premier jour, sur le nez, un coup de poing droit qui le dĂ©tacha Ă jamais de ce divertissement salutaire. La canne le fit rĂąler d'essoufflement, et il fut si bien courbaturĂ© par l'escrime, qu'il en demeura deux nuits sans dormir. Alors il eut une illumination. C'Ă©tait de visiter Ă pied, chaque dimanche, les environs de Paris et mĂȘme certaines parties de la capitale qu'il ne connaissait pas. Son Ă©quipement pour ces voyages occupa son esprit pendant toute une semaine, et le dimanche, trentiĂšme jour de mai, il commença les prĂ©paratifs. AprĂšs avoir lu toutes les rĂ©clames les plus baroques, que de pauvres diables, borgnes ou boiteux, distribuent au coin des rues avec importunitĂ©, il se rendit dans les magasins avec la simple intention de voir, se rĂ©servant d'acheter plus tard. Il visita d'abord l'Ă©tablissement d'un bottier soi-disant amĂ©ricain, demandant qu'on lui montrĂąt de forts souliers pour voyages ! On lui exhiba des espĂšces d'appareils blindĂ©s en cuivre comme des navires de guerre, hĂ©rissĂ©s de pointes comme une herse de fer, et qu'on lui affirma ĂȘtre confectionnĂ©s en cuir de bison des Montagnes Rocheuses. Il fut tellement enthousiasmĂ© qu'il en aurait volontiers achetĂ© deux paires. Une seule lui suffisait cependant. Il s'en contenta ; et il partit, la portant sous son bras, qui fut bientĂŽt tout engourdi. Il se procura un pantalon de fatigue en velours Ă cĂŽtes, comme ceux des ouvriers charpentiers ; puis des guĂȘtres de toile Ă voile passĂ©es Ă l'huile et montant jusqu'aux genoux. Il lui fallut encore un sac de soldat pour ses provisions, une lunette marine afin de reconnaĂźtre les villages Ă©loignĂ©s, pendus aux flancs des coteaux ; enfin une carte de l'Ă©tat-major qui lui permettrait de se diriger sans demander sa route aux paysans courbĂ©s au milieu des champs. Puis, pour supporter plus facilement la chaleur, il se rĂ©solut Ă acquĂ©rir un lĂ©ger vĂȘtement d'alpaga que la cĂ©lĂšbre maison Raminau livrait en premiĂšre qualitĂ©, suivant ses annonces, pour la modique somme de six francs cinquante centimes. Il se rendit dans cet Ă©tablissement, et un grand jeune homme distinguĂ©, avec une chevelure entretenue Ă la Capoul, des ongles roses comme ceux des dames, et un sourire toujours aimable, lui fit voir le vĂȘtement demandĂ©. Il ne rĂ©pondait pas Ă la magnificence de l'annonce. Alors Patissot hĂ©sitant, interrogea " Mais enfin, monsieur, est-ce d'un bon usage ?" - L'autre dĂ©tourna les yeux avec un embarras bien jouĂ© comme un honnĂȘte homme qui ne veut pas tromper la confiance d'un client, et, baissant le ton d'un air hĂ©sitant "Mon Dieu, monsieur, vous comprenez que pour six francs cinquante on ne peut pas livrer un article pareil Ă celui-ci, par exemple..." Et il prit un veston sensiblement mieux que le premier. AprĂšs l'avoir examinĂ©, Patissot s'informa du prix. - "Douze francs cinquante." C'Ă©tait tentant. Mais, avant de se dĂ©cider, il interrogea de nouveau le grand jeune homme, qui le regardait fixement, en observateur. - "Et... c'est trĂšs bon cela ? vous le garantissez ?" - "Oh ! certainement, monsieur, c'est excellent et souple ! Il ne faudrait pas, bien entendu, qu'il fĂ»t mouillĂ© ! Oh ! pour ĂȘtre bon, c'est bon ; mais vous comprenez bien qu'il y a marchandise et marchandise. Pour le prix, c'est parfait. Douze francs cinquante, songez donc, ce n'est rien. Il est bien certain qu'une jaquette de vingt-cinq francs vaudra mieux. Pour vingt-cinq francs, vous avez tout ce qu'il y a de supĂ©rieur ; aussi fort que le drap, plus durable mĂȘme. Quand il a plu, un coup de fer la remet Ă neuf. Cela ne change jamais de couleur, ne rougit pas au soleil. C'est en mĂȘme temps plus chaud et plus lĂ©ger." Et il dĂ©ployait sa marchandise, faisait miroiter l'Ă©toffe, la froissait, la secouait, la tendait pour faire valoir l'excellence de la qualitĂ©. Il parlait interminablement, avec conviction, dissipant les hĂ©sitations par le geste et par la rhĂ©torique. Patissot fut convaincu, il acheta. L'aimable vendeur ficela le paquet, parlant encore, et devant la caisse, prĂšs de la porte, il continuait Ă vanter avec emphase la valeur de l'acquisition. Quand elle fut payĂ©e, il se tut soudain ; salua d'un "Au plaisir, Monsieur" qu'accompagnait un sourire d'homme supĂ©rieur, et tenant le vantail ouvert, il regardait partir son client, qui tĂąchait en vain de le saluer, ses deux mains Ă©tant chargĂ©es de paquets. M. Patissot, rentrĂ© chez lui, Ă©tudia avec soin son premier itinĂ©raire et voulut essayer ses souliers, dont les garnitures ferrĂ©es faisaient des sortes de patins. Il glissa sur le plancher, tomba et se promit de faire attention. Puis il Ă©tendit sur des chaises toutes ses emplettes, qu'il considĂ©ra longtemps, et il s'endormit avec cette pensĂ©e "C'est Ă©trange que je n'aie pas songĂ© plus tĂŽt Ă faire des excursions Ă la campagne !" == II PremiĂšre sortie == M. Patissot travailla mal, toute la semaine, Ă son ministĂšre. Il rĂȘvait Ă l'excursion projetĂ©e pour le dimanche suivant, et un grand dĂ©sir de campagne lui Ă©tait venu tout Ă coup, un besoin de s'attendrir devant les arbres, cette soif d'idĂ©al champĂȘtre qui hante au printemps les Parisiens. Il se coucha le samedi de bonne heure, et dĂšs le jour il fut debout. Sa fenĂȘtre donnait sur une cour Ă©troite et sombre, une sorte de cheminĂ©e oĂč montaient sans cesse toutes les puanteurs des mĂ©nages pauvres. Il leva les yeux aussitĂŽt vers le petit carrĂ© de ciel qui apparaissait entre les toits, et il aperçut un morceau de bleu foncĂ©, plein de soleil dĂ©jĂ , traversĂ© sans cesse par des vols d'hirondelles qu'on ne pouvait suivre qu'une seconde. Il se dit que, de lĂ -haut, elles devraient dĂ©couvrir la campagne lointaine, la verdure des coteaux boisĂ©s, tout un dĂ©ploiement d'horizons. Alors une envie dĂ©sordonnĂ©e lui vint de se perdre dans la fraĂźcheur des feuilles. Il s'habilla bien vite, chaussa ses formidables souliers et demeura trĂšs longtemps Ă sangler ses guĂȘtres dont il n'avait point l'habitude. AprĂšs avoir chargĂ© sur le dos son sac bourrĂ© de viande, de fromages et de bouteilles de vin car l'exercice assurĂ©ment lui creuserait l'estomac, il partit, sa canne Ă la main. Il prit un pas de marche bien rythmĂ© celui des chasseurs, pensait-il, en sifflotant des airs gaillards qui rendaient plus lĂ©gĂšre son allure. Des gens se retournaient pour le voir, un chien jappa ; un cocher, en passant, lui cria "Bon voyage, monsieur Dumolet !" Mais lui s'en fichait carrĂ©ment, et il allait sans se retourner, toujours plus vite, faisant, d'un air crĂąne, le moulinet avec sa canne. La ville s'Ă©veillait joyeuse, dans la chaleur et la lumiĂšre d'une belle journĂ©e de printemps. Les façades des maisons luisaient, les serins chantaient dans leurs cages, et une gaietĂ© courait les rues, Ă©clairait les visages, mettait un rire partout, comme un contentement des choses sous le clair soleil levant. Il gagnait la Seine pour prendre l'Hirondelle qui le dĂ©poserait Ă Saint-Cloud et, au milieu de l'ahurissement des passants, il suivit la rue de la ChaussĂ©e-d'Antin, le boulevard, la rue Royale, se comparant mentalement au Juif Errant. En remontant sur le trottoir, les armatures ferrĂ©es de ses chaussures encore une fois glissĂšrent sur le granit, et lourdement, il s'abattit, avec un bruit terrible dans son sac. Des passants le relevĂšrent, et il se remit en marche plus doucement, jusqu'Ă la Seine oĂč il attendit une Hirondelle. LĂ -bas, trĂšs loin, sous les ponts, il la vit apparaĂźtre, toute petite d'abord, puis plus grosse, grandissant toujours, et elle prenait en son esprit des allures de paquebot, comme s'il allait partir pour un long voyage, passer les mers, voir des peuples nouveaux et des choses inconnues. Elle accosta et il prit place. Des gens endimanchĂ©s Ă©taient dĂ©jĂ dessus, avec des toilettes voyantes, des rubans de chapeau Ă©clatants et de grosses figures Ă©carlates. Patissot se plaça, tout Ă l'avant, debout, les jambes Ă©cartĂ©es Ă la façon des matelots, pour faire croire qu'il avait beaucoup naviguĂ©. Mais, comme il redoutait les petits remous des Mouches, il s'arc-boutait sur sa canne, afin de bien maintenir son Ă©quilibre. AprĂšs la station du Point-du-Jour, la riviĂšre s'Ă©largissait, tranquille sous la lumiĂšre Ă©clatante ; puis, lorsqu'on eut passĂ© entre deux Ăźles, le bateau suivit un coteau tournant dont la verdure Ă©tait pleine de maisons blanches. Une voix annonça le Bas-Meudon, puis SĂšvres, enfin Saint-Cloud, et Patissot descendit. AussitĂŽt sur le quai, il ouvrit sa carte de l'Ă©tat-major, pour ne commettre aucune erreur. C'Ă©tait, du reste, trĂšs clair. Il allait par ce chemin trouver la Celle, tourner Ă gauche, obliquer un peu Ă droite, et gagner, par cette route, Versailles dont il visiterait le parc avant dĂźner. Le chemin montait et Patissot soufflait, Ă©crasĂ© sous le sac, les jambes meurtries par ses guĂȘtres, et traĂźnant dans la poussiĂšre ses gros souliers, plus lourds que des boulets. Tout Ă coup, il s'arrĂȘta avec un geste de dĂ©sespoir. Dans la prĂ©cipitation de son dĂ©part, il avait oubliĂ© sa lunette marine. Enfin, voici les bois. Alors, malgrĂ© l'effroyable chaleur, malgrĂ© la sueur qui lui coulait du front, et le poids de son harnachement, et les soubresauts de son sac, il courut, ou plutĂŽt il trotta vers la verdure, avec de petits bonds, comme les vieux chevaux poussifs. Il entra sous l'ombre, dans une fraĂźcheur dĂ©licieuse, et un attendrissement le prit devant les multitudes de petites fleurs diverses, jaunes, rouges, bleues, violettes, fines, mignonnes, montĂ©es sur de longs fils, Ă©panouies le long des fossĂ©s. Des insectes de toutes couleurs, de toutes les formes trapus, allongĂ©s, extraordinaires de construction, des monstres effroyables et microscopiques, faisaient pĂ©niblement des ascensions de brins d'herbe qui ployaient sous leurs poids. Et Patissot admira sincĂšrement la crĂ©ation. Mais, comme il Ă©tait extĂ©nuĂ©, il s'assit. Alors il voulut manger. Une stupeur le prit devant l'intĂ©rieur de son sac. Une des bouteilles s'Ă©tait cassĂ©e, dans sa chute assurĂ©ment, et le liquide, retenu par l'impermĂ©able toile cirĂ©e, avait fait une soupe au vin de ses nombreuses provisions. Il mangea cependant une tranche de gigot bien essuyĂ©e, un morceau de jambon, des croĂ»tes de pain ramollies et rouges, en se dĂ©saltĂ©rant avec du bordeaux fermentĂ©, couvert d'une Ă©cume rose dĂ©sagrĂ©able Ă l'oeil. Et, quand il se fut reposĂ© plusieurs heures, aprĂšs avoir de nouveau consultĂ© sa carte, il repartit. Au bout de quelque temps, il se trouva dans un carrefour que rien ne faisait prĂ©voir. Il regarda le soleil, tĂącha de s'orienter, rĂ©flĂ©chit, Ă©tudia longtemps toutes les petites lignes croisĂ©es qui, sur le papier, figuraient des routes, et se convainquit bientĂŽt qu'il Ă©tait absolument Ă©garĂ©. Devant lui s'ouvrait une ravissante allĂ©e dont le feuillage un peu grĂȘle laissait pleuvoir partout, sur le sol, des gouttes de soleil qui illuminaient des marguerites blanches cachĂ©es dans les herbes. Elle Ă©tait allongĂ©e interminablement, et vide, et calme. Seul, un gros frelon solitaire et bourdonnant la suivait, s'arrĂȘtant parfois sur une fleur qu'il inclinait, et repartait presque aussitĂŽt pour se reposer encore un peu plus loin. Son corps Ă©norme semblait en velours brun rayĂ© de jaune, portĂ© par des ailes transparentes, et dĂ©mesurĂ©ment petites. Patissot l'observait avec un profond intĂ©rĂȘt, quand quelque chose remua sous ses pieds. Il eut peur d'abord, et sauta de cĂŽtĂ© ; puis, se penchant avec prĂ©caution, il aperçut une grenouille, grosse comme une noisette, qui faisait des bonds Ă©normes. Il se baissa pour la prendre, mais elle lui glissa dans les mains. Alors, avec des prĂ©cautions infinies, il se traĂźna vers elle, sur les genoux, avançant tout doucement, tandis que son sac, sur son dos, semblait une carapace Ă©norme et lui donnait l'air d'une grosse tortue en marche. Quand il fut prĂšs de l'endroit oĂč la bestiole s'Ă©tait arrĂȘtĂ©e, il prit ses mesures, jeta ses deux mains en avant, tomba le nez dans le gazon, se releva avec deux poignĂ©es de terre et point de grenouille. Il eut beau chercher, il ne la retrouva pas. DĂšs qu'il se fut remis debout, il aperçut lĂ -bas trĂšs loin, deux personnes qui venaient vers lui en faisant des signes. Une femme agitait son ombrelle, et un homme, en manches de chemise, portait sa redingote sur son bras. Puis la femme se mit Ă courir, appelant "Monsieur ! monsieur !" Il s'essuya le front et rĂ©pondit "Madame ! - Monsieur, nous sommes perdus, tout Ă fait perdus !" Une pudeur l'empĂȘcha de faire le mĂȘme aveu et il affirma gravement "Vous ĂȘtes sur la route de Versailles. - Comment, sur la route de Versailles ? mais nous allons Ă Rueil." Il se troubla, puis rĂ©pondit nĂ©anmoins effrontĂ©ment "Madame, je vais vous montrer, avec ma carte d'Ă©tat-major, que vous ĂȘtes bien sur la route de Versailles." Le mari s'approchait. Il avait un aspect Ă©perdu, dĂ©sespĂ©rĂ©. La femme, jeune, jolie, une brunette Ă©nergique, s'emporta, dĂšs qu'il fut prĂšs d'elle "Viens voir ce que tu as fait nous sommes Ă Versailles, maintenant. Tiens, regarde la carte d'Ă©tat-major que Monsieur aura la bontĂ© de te montrer. Sauras-tu lire, seulement ? Mon Dieu, mon Dieu ! comme il y a des gens stupides ! Je t'avais dit pourtant de prendre Ă droite, mais tu n'a pas voulu ; tu crois toujours tout savoir." Le pauvre garçon semblait dĂ©solĂ©. Il rĂ©pondit "Mais, ma bonne amie, c'est toi..." Elle ne le laissa pas achever, et lui reprocha toute sa vie, depuis leur mariage, jusqu'Ă l'heure prĂ©sente. Lui, tournait des yeux lamentables vers les taillis, dont il semblait vouloir pĂ©nĂ©trer la profondeur et, de temps en temps, comme pris de folie, il poussait un cri perçant, quelque chose comme "tiiit" qui ne semblait nullement Ă©tonner sa femme, mais qui emplissait Patissot de stupĂ©faction. La jeune dame, tout Ă coup, se tournant vers l'employĂ© avec un sourire "Si Monsieur veut bien le permettre, nous ferons route avec lui pour ne pas nous Ă©garer de nouveau et nous exposer Ă coucher dans le bois." Ne pouvant refuser, il s'inclina, le cĆur torturĂ© d'inquiĂ©tudes, et ne sachant oĂč il allait les conduire. Ils marchĂšrent longtemps ; l'homme toujours criait "tiiit" ; le soir tomba. Le voile de brume qui couvre la campagne au crĂ©puscule se dĂ©ployait lentement, et une poĂ©sie flottait, faite de cette sensation de fraĂźcheur particuliĂšre et charmante qui emplit le bois Ă l'approche de la nuit. La petite femme avait pris le bras de Patissot et elle continuait, de sa bouche rose, Ă cracher des reproches pour son mari, qui sans lui rĂ©pondre, hurlait sans cesse "tiiit", de plus en plus fort. Le gros employĂ©, Ă la fin lui demanda "Pourquoi criez-vous comme ça ?" L'autre, avec des larmes dans les yeux, lui rĂ©pondit "C'est mon pauvre chien que j'ai perdu. - Comment ! vous avez perdu votre chien ? - Oui, nous l'avions Ă©levĂ© Ă Paris ; il n'Ă©tait jamais venu Ă la campagne, et, quand il a vu des feuilles, il fut tellement content, qu'il s'est mis Ă courir comme un fou. Il est entrĂ© dans le bois, et j'ai eu beau l'appeler, il n'est pas revenu. Il va mourir de faim la dedans... tiiit." La femme haussait les Ă©paules. "Quand on est aussi bĂȘte que toi, on n'a pas de chien !" Mais il s'arrĂȘta, se tĂątant le corps fiĂ©vreusement. Elle le regardait "Eh bien, quoi ! - Je n'ai pas fait attention que j'avais ma redingote sur mon bras. J'ai perdu mon portefeuille... Mon argent Ă©tait dedans." - Cette fois, elle suffoqua de colĂšre "Eh bien, va le chercher !" Il rĂ©pondit doucement "Oui, mon amie, oĂč vous retrouverai-je ?" Patissot rĂ©pondit hardiment "Mais Ă Versailles !" - Et, ayant entendu parler de l'hĂŽtel des RĂ©servoirs, il l'indiqua. Le mari se retourna et, courbĂ© vers la terre que son oeil anxieux parcourait, criant "tiiit"Ă tout moment, il s'Ă©loigna. - Il fut longtemps Ă disparaĂźtre, l'ombre plus Ă©paisse l'enveloppa, et sa voix encore, de trĂšs loin, envoyait son "tiiit" lamentable, plus aigu Ă mesure que la nuit se faisait plus noire et que son espoir s'Ă©teignait. Patissot fut dĂ©licieusement Ă©mu quand il se trouva seul, sous l'ombre touffue du bois, Ă cette heure langoureuse du crĂ©puscule, avec cette petite femme inconnue qui s'appuyait Ă son bras. Et, pour la premiĂšre fois de sa vie Ă©goĂŻste, il pressentit le charme des poĂ©tiques amours, la douceur des abandons, et la participation de la nature Ă nos tendresses qu'elle enveloppe. Il cherchait des mots galants, qu'il ne trouvait pas, d'ailleurs. Mais une grand'route se montra, des maisons apparurent Ă droite ; un homme passa. Patissot, tremblant, demanda le nom du pays. "Bougival. - Comment ! Bougival ? vous ĂȘtes sĂ»r ? - Parbleu ! j'en suis." La femme riait comme une petite folle. - L'idĂ©e de son mari perdu la rendait malade de rire. - On dĂźna au bord de l'eau, dans un restaurant champĂȘtre. Elle fut charmante, enjouĂ©e, racontant mille histoires drĂŽles, qui tournaient un peu la cervelle de son voisin. - Puis, au dĂ©part, elle s'Ă©cria "Mais j'y pense, je n'ai pas le sou, puisque mon mari a perdu son portefeuille." - Patissot s'empressa, ouvrit sa bourse, offrit de prĂȘter ce qu'il faudrait, tira un louis, s'imaginant qu'il ne pourrait prĂ©senter moins. Elle ne disait rien, mais elle tendit la main, prit l'argent, prononça un "merci" grave qu'un sourire suivit bientĂŽt, noua en minaudant son chapeau devant la glace, ne permit pas qu'on l'accompagnĂąt, maintenant qu'elle savait oĂč aller, et partit finalement comme un oiseau qui s'envole, tandis que Patissot, trĂšs morne, faisait mentalement le compte des dĂ©penses de la journĂ©e. Il n'alla pas au ministĂšre le lendemain, tant il avait la migraine. == III Chez un ami == Pendant toute la semaine, Patissot raconta son aventure, et il dĂ©peignait poĂ©tiquement les lieux qu'il avait traversĂ©s, s'indignant de rencontrer si peu d'enthousiasme autour de lui. Seul, un vieil expĂ©ditionnaire toujours taciturne, M. Boivin, surnommĂ© Boileau, lui prĂȘtait une attention soutenue. Il habitait lui-mĂȘme la campagne, avait un petit jardin qu'il cultivait avec soin ; il se contentait de peu, et Ă©tait parfaitement heureux, disait-on. Patissot, maintenant, comprenait ses goĂ»ts, et la concordance de leurs aspirations les rendit tout de suite amis. Le pĂšre Boivin, pour cimenter cette sympathie naissante, l'invita Ă dĂ©jeuner pour le dimanche suivant dans sa petite maison de Colombes. Patissot prit le train de huit heures et, aprĂšs de nombreuses recherches, dĂ©couvrit, juste au milieu de la ville, une espĂšce de ruelle obscure, un cloaque fangeux entre deux hautes murailles et, tout au bout, une porte pourrie, fermĂ©e avec une ficelle enroulĂ©e Ă deux clous. Il ouvrit et se trouva face Ă face avec un ĂȘtre innommable qui devait cependant ĂȘtre une femme. La poitrine semblait enveloppĂ©e de torchons sales, des jupons en loques pendaient autour des hanches, et, dans ses cheveux embroussaillĂ©s, des plumes de pigeon voltigeaient. Elle regardait le visiteur d'un air furieux avec ses petits yeux gris ; puis, aprĂšs un moment de silence, elle demanda "Qu'est-ce que vous dĂ©sirez ? - M. Boivin. - C'est ici. Qu'est-ce que vous lui voulez, Ă M. Boivin ? Patissot, troublĂ©, hĂ©sitait. - Mais il m'attend. Elle eut l'air encore plus fĂ©roce et reprit - Ah ! c'est vous qui venez pour le dĂ©jeuner ? Il balbutia un "oui" tremblant. Alors, se tournant vers la maison, elle cria d'une voix rageuse - Boivin, voilĂ ton homme !" Le petit pĂšre Boivin aussitĂŽt parut sur le seuil d'une sorte de baraque en plĂątre, couverte en zinc, avec un rez-de-chaussĂ©e seulement, et qui ressemblait Ă une chaufferette. Il avait un pantalon de coutil blanc maculĂ© de taches de cafĂ© et un panama crasseux. AprĂšs avoir serrĂ© les mains de Patissot, il l'emmena dans ce qu'il appelait son jardin c'Ă©tait, au bout d'un nouveau couloir fangeux, un petit carrĂ© de terre grand comme un mouchoir et entourĂ© de maisons, si hautes, que le soleil y donnait seulement pendant deux ou trois heures par jour. Des pensĂ©es, des oeillets, des ravenelles, quelques rosiers, agonisaient au fond de ce puits sans air et chauffĂ© comme un four par la rĂ©verbĂ©ration des toits. - Je n'ai pas d'arbres, disait Boivin, mais les murs des voisins m'en tiennent lieu, et j'ai de l'ombre comme dans un bois. Puis, prenant Patissot par un bouton - Vous allez me rendre un service. Vous avez vu la bourgeoise elle n'est pas commode, hein ! Mais vous n'ĂȘtes pas au bout, attendez le dĂ©jeuner. Figurez-vous que, pour m'empĂȘcher de sortir, elle ne me donne pas mes habits de bureau, et ne me laisse que des hardes trop usĂ©es pour la ville. Aujourd'hui j'ai des effets propres ; je lui ai dit que nous dĂźnions ensemble. C'est entendu. Mais je ne peux pas arroser, de peur de tacher mon pantalon. Si je tache mon pantalon, tout est perdu ! J'ai comptĂ© sur vous n'est-ce pas ? Patissot y consentit, ĂŽta sa redingote, retroussa ses manches et se mit Ă fatiguer Ă tour de bras une espĂšce de pompe qui sifflait, soufflait, rĂąlait comme un poitrinaire, pour lĂącher un filet d'eau pareil Ă l'Ă©coulement d'une fontaine Wallace. Il fallut dix minutes pour emplir un arrosoir. Patissot Ă©tait en nage. Le pĂšre Boivin le guidait - Ici, Ă cette plante... encore un peu... Assez ! A cette autre. Mais l'arrosoir, percĂ©, coulait, et les pieds de Patissot recevaient plus d'eau que les fleurs ; le bas de son pantalon, trempĂ©, s'imprĂ©gnait de boue. Et vingt fois de suite, il recommença, retrempa ses pieds, ressua en faisant geindre le volant de la pompe ; et, quand, extĂ©nuĂ©, il voulait s'arrĂȘter, le pĂšre Boivin, suppliant, le tirait par le bras. - Encore un arrosoir, un seul, et c'est fini. Pour le remercier, il lui fit don d'une rose ; mais d'une rose tellement Ă©panouie qu'au contact de la redingote de Patissot elle s'effeuilla complĂštement, laissant Ă sa boutonniĂšre une sorte de poire verdĂątre qui l'Ă©tonna beaucoup. Il n'osa rien dire, par discrĂ©tion. Boivin fit semblant de ne pas voir. Mais la voix Ă©loignĂ©e de Mme Boivin se fit entendre - Viendrez-vous Ă la fin ? Quand on vous dit que c'est prĂȘt ! Ils se dirigĂšrent vers la chauffrette, aussi tremblants que deux coupables. Si le jardin se trouvait Ă l'ombre, la maison, par contre, Ă©tait en plein soleil, et aucune chaleur d'Ă©tuve n'Ă©galait celle de ses appartements. Trois assiettes, flanquĂ©es de couverts en Ă©tain mal lavĂ©s, se collaient sur la graisse ancienne d'une table de sapin, au milieu de laquelle un vase en terre contenait des filaments de vieux bouilli rĂ©chauffĂ©s dans un liquide quelconque, oĂč nageaient des pommes de terre tachetĂ©es. On s'assit. On mangea. Une grande carafe pleine d'eau lĂ©gĂšrement teintĂ©e de rouge tirait l'oeil de Patissot. Boivin, un peu confus, dit Ă sa femme - Dis donc, ma chĂ©rie, pour l'occasion, ne vas-tu pas nous donner un peu de vin pur ? Elle le dĂ©visagea furieusement - Pour que vous vous grisiez tous les deux, n'est-ce pas, et que vous restiez Ă crier chez moi toute la journĂ©e ? Merci de l'occasion ! Il se tut. AprĂšs le ragoĂ»t, elle apporta un autre plat de pommes de terre accommodĂ©es avec un peu de lard tout Ă fait rance ; quand ce nouveau mets fut achevĂ©, toujours en silence, elle dĂ©clara. - C'est tout. Filez maintenant. Boivin la contemplait, stupĂ©fait. - Mais le pigeon ? le pigeon que tu plumais ce matin ? Elle mit ses mains sur ses hanches. - Vous n'en avez pas assez peut-ĂȘtre ? Parce que tu amĂšnes des gens, ce n'est pas une raison pour dĂ©vorer tout ce qu'il y a dans la maison. Qu'est-ce que je mangerai, moi, ce soir, Monsieur ? Les deux hommes se levĂšrent, sortirent devant la porte, et le petit pĂšre Boivin, dit Boileau, coula dans l'oreille de Patissot - Attendez-moi une minute et nous filons ! Puis il passa dans la piĂšce Ă cĂŽtĂ© pour complĂ©ter sa toilette ; alors Patissot entendit ce dialogue - Donne-moi vingt sous, ma chĂ©rie ? - Qu'est-ce que tu veux faire avec vingt sous ? - Mais on ne sait pas ce qui peut arriver ; il est toujours bon d'avoir de l'argent. Elle hurla, pour ĂȘtre entendue du dehors - Non, Monsieur, je ne te les donnerai pas ; puisque cet homme a dĂ©jeunĂ© chez toi, c'est bien le moins qu'il paye tes dĂ©penses de la journĂ©e. Le pĂšre Boivin revint prendre Patissot ; mais celui-ci, voulant ĂȘtre poli, s'inclina devant la maĂźtresse du logis, et balbutia - Madame... remerciement... gracieux accueil... Elle rĂ©pondit - C'est bon, - mais n'allez pas me le ramener soĂ»l, parce que vous auriez affaire Ă moi - vous savez ! Et ils partirent. On gagna le bord de la Seine, en face d'une Ăźle plantĂ©e de peupliers. Boivin, regardant la riviĂšre avec tendresse, serra le bras de son voisin. - Hein ! dans huit jours, on y sera, monsieur Patissot. - OĂč sera-t-on, monsieur Boivin ? - Mais... Ă la pĂȘche elle ouvre le quinze. Patissot eut un petit frĂ©missement, comme lorsqu'on rencontre pour la premiĂšre fois la femme qui ravagea votre Ăąme. Il rĂ©pondit - Ah ! ... vous ĂȘtes pĂȘcheur, monsieur Boivin ? - Si je suis pĂȘcheur, Monsieur ! Mais c'est ma passion, la pĂȘche ! Alors Patissot l'interrogea avec un profond intĂ©rĂȘt. Boivin lui nomma tous les poissons qui folĂątraient sous cette eau noire... Et Patissot croyait les voir. Boivin Ă©numĂ©ra les hameçons, les appĂąts, les lieux, les temps convenables pour chaque espĂšce... Et Patissot se sentait devenir plus pĂȘcheur que Boivin lui-mĂȘme. Ils convinrent que, le dimanche suivant, ils feraient l'ouverture ensemble, pour l'instruction de Patissot, qui se fĂ©licitait d'avoir dĂ©couvert un initiateur aussi expĂ©rimentĂ©. On s'arrĂȘta pour dĂźner devant une sorte de bouge obscur que frĂ©quentaient les mariniers et toute la crapule des environs. Devant la porte, le pĂšre Boivin eut soin de dire - Ăa n'a pas d'apparence, mais on y est fort bien. Ils se mirent Ă table. DĂšs le second verre d'argenteuil, Patissot comprit pourquoi Mme Boivin ne servait que de l'abondance Ă son mari le petit bonhomme perdait la tĂȘte ; il pĂ©rorait, se leva, voulut faire des tours de force, se mĂȘla, en pacificateur, Ă la querelle de deux ivrognes qui se battaient ; et il aurait Ă©tĂ© assommĂ© avec Patissot sans l'intervention du patron. Au cafĂ©, il Ă©tait ivre Ă ne pouvoir marcher, malgrĂ© les efforts de son ami pour l'empĂȘcher de boire ; et, quand ils partirent, Patissot le soutenait par les bras. Ils s'enfoncĂšrent dans la nuit Ă travers la plaine, perdirent le sentier, errĂšrent longtemps ; puis, tout Ă coup, se trouvĂšrent au milieu d'une forĂȘt de pieux, qui leur arrivaient Ă la hauteur du nez. C'Ă©tait une vigne avec ses Ă©chalas. Ils circulĂšrent longtemps au travers, vacillants, affolĂ©s, revenant sur leurs pas sans parvenir Ă trouver le bout. A la fin, le petit pĂšre Boivin, dit Boileau, s'abattit sur un bĂąton qui lui dĂ©chira la figure et, sans s'Ă©mouvoir autrement, il demeura assis par terre, poussant de tout son gosier, avec une obstination d'ivrogne, des "la-i-tou" prolongĂ©s et retentissants, pendant que Patissot, Ă©perdu, criait aux quatre points cardinaux - HolĂ , quelqu'un ! HolĂ , quelqu'un ! Un paysan attardĂ© les secourut et les remit dans leur chemin. Mais l'approche de la maison Boivin Ă©pouvantait Patissot. Enfin, on parvint Ă la porte, qui s'ouvrit brusquement devant eux, et, pareille aux antiques furies, Mme Boivin parut, une chandelle Ă la main. DĂšs qu'elle aperçut son mari, elle s'Ă©lança vers Patissot en vocifĂ©rant - Ah ! canaille ! je savais bien que vous alliez le soĂ»ler. Le pauvre bonhomme eut une peur folle, lĂącha son ami qui s'Ă©croula dans la boue huileuse de la ruelle, et s'enfuit Ă toutes jambes jusqu'Ă la gare. == IV PĂȘche Ă la ligne == La veille du jour oĂč il devait, pour la premiĂšre fois de sa vie, lancer un hameçon dans une riviĂšre, M. Patissot se procura, contre la somme de 80 centimes, le Parfait pĂȘcheur Ă la ligne. Il apprit, dans cet ouvrage, mille choses utiles, mais il fut particuliĂšrement frappĂ© par le style, et il retint le passage suivant "En un mot, voulez-vous, sans soins, sans documents, sans prĂ©ceptes, voulez-vous rĂ©ussir et pĂȘcher avec succĂšs Ă droite, Ă gauche ou devant vous, en descendant ou en remontant, avec cette allure de conquĂȘte qui n'admet pas de difficultĂ© ? Eh bien ! pĂȘchez avant, pendant et aprĂšs l'orage, quand le ciel s'entr'ouvre et se zĂšbre de lignes de feu, quand la terre s'Ă©meut par les roulements prolongĂ©s du tonnerre alors, soit aviditĂ©, soit terreur, tous les poissons agitĂ©s, turbulents, confondent leurs habitudes dans une sorte de galop universel. "Dans cette confusion, suivez ou nĂ©gligez tous les diagnostics des chances favorables, allez Ă la pĂȘche, vous marchez Ă la victoire !" Puis, afin de pouvoir captiver en mĂȘme temps des poissons de toutes grosseurs, il acheta trois instruments perfectionnĂ©s, cannes pour la ville, lignes sur le fleuve, se dĂ©ployant dĂ©mesurĂ©ment au moyen d'une simple secousse. Pour le goujon, il eut des hameçons n° 15, du n° 12 pour la brĂšme et il comptait bien, avec le n° 7, emplir son panier de carpes et de barbillons. Il n'acheta pas de vers de vase qu'il Ă©tait sĂ»r de trouver partout, mais il s'approvisionna d'asticots. Il en avait un grand pot tout plein ; et le soir, il les contempla. Les hideuses bĂȘtes, rĂ©pandant une puanteur immonde, grouillaient dans leur bain de son, comme elles font dans les viandes pourries ; et Patissot voulut s'exercer d'avance Ă les accrocher aux hameçons. Il en prit une avec rĂ©pugnance ; mais, Ă peine l'eĂ»t-il posĂ©e sur la pointe aiguĂ« de l'acier courbĂ© qu'elle creva et se vida complĂštement. Il recommença vingt fois de suite sans plus de succĂšs, et il aurait peut-ĂȘtre continuĂ© toute la nuit s'il n'eĂ»t craint d'Ă©puiser toute sa provision de vermine. Il partit par le premier train. La gare Ă©tait pleine de gens armĂ©s de cannes Ă pĂȘche. Les unes, comme celles de Patissot, semblaient de simples bambous ; mais les autres, d'un seul morceau, montaient dans l'air en s'amincissant. C'Ă©tait comme une forĂȘt de fines baguettes qui se heurtaient Ă tout moment, se mĂȘlaient, semblaient se battre comme des Ă©pĂ©es, ou se balancer comme des mĂąts au-dessus d'un ocĂ©an de chapeaux de paille Ă larges bords. Quand la locomotive se mit en marche, on en voyait sortir de toutes les portiĂšres, et les impĂ©riales, d'un bout Ă l'autre du convoi, en Ă©tant hĂ©rissĂ©es, le train avait l'air d'une longue chenille qui se dĂ©roulait par la plaine. On descendit Ă Courbevoie, et la diligence de Bezons fut emportĂ©e d'assaut. Un amoncellement de pĂȘcheurs se tassa sur le toit, et comme ils tenaient leurs lignes Ă la main, la guimbarde prit tout Ă coup l'aspect d'un gros porc-Ă©pic. Tout le long de la route on voyait des hommes se diriger dans le mĂȘme sens, comme pour un immense pĂšlerinage vers une JĂ©rusalem inconnue. Ils portaient leurs longs bĂątons effilĂ©s, rappelant ceux des anciens fidĂšles revenus de Palestine, et une boĂźte en fer-blanc leur battait le dos. Ils se hĂątaient. A Bezons, le fleuve apparut. Sur ses deux bords, une file de personnes, des hommes en redingote, d'autres en coutil, d'autres en blouse, des femmes, des enfants, mĂȘme des jeunes filles prĂȘtes Ă marier, pĂȘchaient. Patissot se rendit au barrage, oĂč son ami Boivin l'attendait. L'accueil de ce dernier fut froid. Il venait de faire connaissance avec un gros monsieur de cinquante ans environ, qui paraissait trĂšs fort, et dont la figure Ă©tait brĂ»lĂ©e du soleil. Tous les trois ayant louĂ© un grand bateau, allĂšrent s'accrocher presque sous la chute du barrage, dans les remous oĂč l'on prend le plus de poisson. Boivin fut tout de suite prĂȘt, et ayant amorcĂ© sa ligne il la lança, puis il demeura immobile, fixant le petit flotteur avec une attention extraordinaire. Mais de temps en temps il retirait son fil de l'eau pour le jeter un peu plus loin. Le gros monsieur, quant il eut envoyĂ© dans la riviĂšre ses hameçons bien appĂątĂ©s, posa la ligne Ă son cĂŽtĂ©, bourra sa pipe, l'alluma, se croisa les bras, et, sans un coup d'oeil au bouchon, il regarda l'eau couler. Patissot recommença Ă crever des asticots. Au bout de cinq minutes, il interpella Boivin "Monsieur Boivin, vous seriez bien aimable de mettre ces bĂȘtes Ă mon hameçon. J'ai beau essayer, je n'arrive pas." Boivin releva la tĂȘte "Je vous prierai de ne pas me dĂ©ranger, monsieur Patissot ; nous ne sommes pas ici pour nous amuser." Cependant il amorça la ligne, que Patissot lança imitant avec soin tous les mouvements de son ami. La barque contre la chute d'eau dansait follement ; des vagues la secouaient, de brusques retours de courant la faisaient virer comme une toupie, quoiqu'elle fĂ»t amarrĂ©e par les deux bouts ; et Patissot, tout absorbĂ© par la pĂȘche, Ă©prouvait un malaise vague, une lourdeur de tĂȘte, un Ă©tourdissement Ă©trange. On ne prenait rien cependant le petit pĂšre Boivin, trĂšs nerveux, avait des gestes secs, des hochements de front dĂ©sespĂ©rĂ©s ; Patissot en souffrait comme d'un dĂ©sastre ; seul le gros monsieur, toujours immobile, fumait tranquillement, sans s'occuper de sa ligne. A la fin, Patissot, navrĂ©, se tourna vers lui, et, d'une voix triste - Ăa ne mord pas ? L'autre rĂ©pondit simplement - Parbleu ! Patissot, Ă©tonnĂ©, le considĂ©ra. - En prenez-vous quelquefois beaucoup ? - Jamais ! - Comment, jamais ? Le gros homme, tout en fumant comme une cheminĂ©e de fabrique, lĂącha ces mots, qui rĂ©volutionnĂšrent son voisin - Ăa me gĂȘnerait rudement si ça mordait. Je ne viens pas pour pĂȘcher, moi, je viens parce qu'on est trĂšs bien ici on est secouĂ© comme en mer ; si je prends une ligne, c'est pour faire comme les autres. M. Patissot, au contraire, ne se trouvait plus bien du tout. Son malaise, vague d'abord, augmentant toujours, prit une forme enfin. On Ă©tait, en effet, secouĂ© comme en mer, et il souffrait du mal des paquebots. AprĂšs la premiĂšre atteinte un peu calmĂ©e, il proposa de s'en aller ; mais Boivin, furieux, faillit lui sauter Ă la face. Cependant, le gros homme, pris de pitiĂ©, ramena la barque d'autoritĂ©, et, lorsque les Ă©tourdissements de Patissot furent dissipĂ©s, on s'occupa de dĂ©jeuner. Deux restaurants se prĂ©sentaient. L'un tout petit, avec un aspect de guinguette, Ă©tait frĂ©quentĂ© par le fretin des pĂȘcheurs. L'autre, qui portait le nom de "Chalet des Tilleuls", ressemblait Ă une villa bourgeoise et avait pour clientĂšle l'aristocratie de la ligne. Les deux patrons, ennemis de naissance, se regardaient haineusement par-dessus un grand terrain qui les sĂ©parait, et oĂč s'Ă©levait la maison blanche du garde-pĂȘche et du barragiste. Ces autoritĂ©s, d'ailleurs, tenaient l'une pour la guinguette, l'autre pour les Tilleuls, et les dissentiments intĂ©rieurs de ces trois maisons isolĂ©es reproduisaient l'histoire de tout l'humanitĂ©. Boivin, qui connaissait la guinguette y voulait aller "On y est trĂšs bien servi, et ça n'est pas cher ; vous verrez. Du reste, monsieur Patissot, ne vous attendez pas Ă me griser comme vous avez fait dimanche dernier ; ma femme Ă©tait furieuse, savez-vous, et elle a jurĂ© qu'elle ne vous pardonnerait jamais !" Le gros monsieur dĂ©clara qu'il ne mangerait qu'aux Tilleuls, parce que c'Ă©tait, affirmait-il une maison excellente, oĂč l'on faisait la cuisine comme dans les meilleurs restaurants de Paris. "Faites comme vous voudrez, dĂ©clara Boivin ; moi, je vais oĂč j'ai mes habitudes." Et il partit. Patissot, mĂ©content de son ami, suivit le gros monsieur. Ils dĂ©jeunĂšrent en tĂȘte-Ă -tĂȘte, Ă©changĂšrent leurs maniĂšres de voir, se communiquĂšrent leurs impressions et reconnurent qu'ils Ă©taient faits pour s'entendre. AprĂšs le repas, on se remit Ă pĂȘcher, mais les deux nouveaux amis partirent ensemble le long de la berge, s'arrĂȘtĂšrent contre le pont du chemin de fer et jetĂšrent leurs lignes Ă l'eau, tout en causant. Ăa continuait Ă ne pas mordre ; Patissot maintenant en prenait son parti. Une famille s'approcha. Le pĂšre, avec des favoris de magistrat, tenait une ligne dĂ©mesurĂ©e ; trois enfants du sexe mĂąle, de tailles diffĂ©rentes, portaient des bambous de longueurs diverses, selon leur Ăąge, et la mĂšre, trĂšs forte, manĆuvrait avec grĂące une charmante canne Ă pĂȘche ornĂ©e d'une faveur Ă la poignĂ©e. Le pĂšre salua "L'endroit est-il bon, Messieurs ?" Patissot allait parler, quand son voisin rĂ©pondit "Excellent !" - Toute la famille sourit et s'installa autour des deux pĂȘcheurs. Alors Patissot fut saisi d'une envie folle de prendre un poisson, un seul, n'importe lequel, gros comme une mouche, pour inspirer de la considĂ©ration Ă tout le monde ; et il se mit Ă manĆuvrer sa ligne comme il avait vu Boivin le faire dans la matinĂ©e. Il laissait le flotteur suivre le courant jusqu'au bout du fil, donnait une secousse, tirait les hameçons de la riviĂšre ; puis, leur faisant dĂ©crire en l'air un large cercle, il les rejetait Ă l'eau quelques mĂštres plus haut. Il avait mĂȘme, pensait-il, attrapĂ© le chic pour faire ce mouvement avec Ă©lĂ©gance, quand sa ligne, qu'il venait d'enlever d'un coup de poignet rapide, se trouva arrĂȘtĂ©e quelque part derriĂšre lui. Il fit un effort ; un grand cri Ă©clata dans son dos, et il aperçut, dĂ©crivant dans le ciel une courbe de mĂ©tĂ©ore, et accrochĂ© Ă l'un de ses hameçons, un magnifique chapeau de femme, chargĂ© de fleurs, qu'il dĂ©posa, toujours au bout de sa ficelle, juste au beau milieu du fleuve. Il se retourna effarĂ©, lĂąchant sa ligne, qui suivit le chapeau, filant avec le courant, pendant que le gros monsieur, son nouvel ami, renversĂ© sur le dos, riait Ă pleine gorge. La dame, dĂ©coiffĂ©e et stupĂ©faite, suffoquait de colĂšre ; le mari se fĂącha tout Ă fait, et il rĂ©clamait le prix du chapeau, que Patissot paya bien le triple de sa valeur. Puis la famille partit avec dignitĂ©. Patissot prit une autre canne, et, jusqu'au soir, il baigna des asticots. Son voisin dormait tranquillement sur l'herbe. Il se rĂ©veilla vers sept heures. - Allons-nous-en ! dit-il. Alors Patissot retira sa ligne, poussa un cri, tomba d'Ă©tonnement sur le derriĂšre, au bout du fil, un tout petit poisson se balançait. Quand on le considĂ©ra de plus prĂšs, on vit qu'il Ă©tait accrochĂ© par le milieu du ventre ; un hameçon l'avait happĂ© au passage en sortant de l'eau. Ce fut un triomphe, une joie dĂ©mesurĂ©e. Patissot voulut qu'on le fĂźt frire pour lui tout seul. Pendant le dĂźner, l'intimitĂ© s'accrut avec sa nouvelle connaissance. Il apprit que ce particulier habitait Argenteuil, canotait Ă la voile depuis trente ans sans dĂ©couragement, et il accepta Ă dĂ©jeuner chez lui pour le dimanche suivant, avec la promesse d'une bonne partie de canot dans le Plongeon, clipper de son ami. La conversation l'intĂ©ressa si fort qu'il en oublia sa pĂȘche. La pensĂ©e lui en vint seulement aprĂšs le cafĂ©, et il exigea qu'on la lui apportĂąt. C'Ă©tait, au milieu de l'assiette, une sorte d'allumette jaunĂątre et tordue. Il la mangea cependant avec orgueil, et, le soir, sur l'omnibus, il racontait Ă ses voisins qu'il avait pris dans la journĂ©e quatorze livres de friture. == V Deux hommes cĂ©lĂšbres == M. Patissot avait promis Ă son ami le canotier qu'il passerait avec lui la journĂ©e du dimanche suivant. Une circonstance imprĂ©vue dĂ©rangea ses projets. Il rencontra un soir, sur le boulevard, un de ses cousins qu'il voyait fort rarement. C'Ă©tait un journaliste aimable, trĂšs lancĂ© dans tous les mondes, et qui proposa son concours Ă Patissot pour lui montrer bien des choses intĂ©ressantes. - Que faites-vous dimanche, par exemple ? - Je vais Ă Argenteuil, canoter. - Allons donc, c'est assommant, votre canotage ; c'est ça qui ne change jamais. Tenez, je vous emmĂšne avec moi. Je vous ferai connaĂźtre deux hommes illustres et visiter deux maisons d'artistes. - Mais on m'a ordonnĂ© d'aller Ă la campagne ! - C'est Ă la campagne que nous irons. Je ferai, en passant, une visite Ă Meissonier, dans sa propriĂ©tĂ© de Poissy ; puis nous gagnerons Ă pied MĂ©dan, oĂč habite Zola, Ă qui j'ai mission de demander son prochain roman pour notre journal. Patissot, dĂ©lirant de joie, accepta. Il acheta mĂȘme une redingote neuve, la sienne Ă©tant un peu usĂ©e, afin de se prĂ©senter convenablement, et il avait une peur horrible de dire des bĂȘtises, soit au peintre, soit Ă l'homme de lettres, comme tous les gens qui parlent des arts qu'ils n'ont jamais pratiquĂ©s. Il communiqua ses craintes Ă son cousin, qui se mit Ă rire, en lui rĂ©pondant "Bah ! faites seulement des compliments, rien que des compliments, toujours des compliments ; ça fait passer les bĂȘtises quand on en dit. Vous connaissez les tableaux de Meissonier ? - Je crois bien. - Vous avez lu les Rougon-Macquart ? - D'un bout Ă l'autre. - Ăa suffit. Nommez un tableau de temps en temps, citez un roman par-ci, par-lĂ , et ajoutez Superbe ! ! ! Extraordinaire ! ! ! DĂ©licieux d'exĂ©cution ! ! ! Ătrangement puissant, etc. De cette façon on s'en tire toujours. Je sais bien que ces deux hommes-lĂ sont rudement blasĂ©s sur tout ; mais, voyez-vous, les louanges, ça fait toujours plaisir Ă un artiste." Le dimanche matin, ils partirent pour Poissy. A quelques pas de la gare, au bout de la place de l'Ă©glise, ils trouvĂšrent la propriĂ©tĂ© de Meissonier. AprĂšs avoir passĂ© sous une porte basse peinte en rouge et que continue un magnifique berceau de vignes, le journaliste s'arrĂȘta et, se tournant vers son compagnon - Comment vous figurez-vous Meissonier ? Patissot hĂ©sitait. Enfin il se dĂ©cida "Un petit homme, trĂšs soignĂ©, rasĂ©, d'allure militaire." - L'autre sourit "C'est bien. Venez." Un bĂątiment en forme de chalet, fort bizarre, apparaissait Ă gauche ; et, Ă droite, presque en face, un peu en contre-bas, la maison principale. C'Ă©tait une construction singuliĂšre oĂč il y avait de tout, de la forteresse gothique, du manoir, de la villa, de la chaumiĂšre, de l'hĂŽtel, de la cathĂ©drale, de la mosquĂ©e, de la pyramide, du gĂąteau de Savoie, de l'oriental et l'occidental. Un style supĂ©rieurement compliquĂ©, Ă rendre fou un architecte classique, quelque chose de fantastique et de joli cependant, inventĂ© par le peintre et exĂ©cutĂ© sous ses ordres. Ils entrĂšrent ; des malles encombraient un petit salon. Un homme parut, vĂȘtu d'une vareuse et petit. Mais ce qui frappait en lui, c'Ă©tait sa barbe, une barbe de prophĂšte, invraisemblable, un fleuve, un ruissellement, un Niagara de barbe. Il salua le journaliste ! "Je vous demande pardon, cher Monsieur ; je suis arrivĂ© hier seulement, et tout est encore bouleversĂ© chez moi. Asseyez-vous." - L'autre refusa, s'excusant "Mon cher maĂźtre, je n'Ă©tais venu qu'en passant, vous prĂ©senter mes hommages." Patissot, trĂšs troublĂ©, s'inclinait Ă chaque parole de son ami, comme par un mouvement automatique, et il murmura, en bĂ©gayant un peu "Quelle su-su-perbe propriĂ©tĂ© !" Le peintre, flattĂ©, sourit et proposa de la visiter. Il les mena d'abord dans un petit pavillon d'aspect fĂ©odal, oĂč se trouvait son ancien atelier, donnant sur une terrasse. Puis ils traversĂšrent un salon, une salle Ă manger, un vestibule pleins d'Ćuvres d'art merveilleuses, de tapisseries adorables de Beauvais, des Gobelins et des Flandres. Mais le luxe bizarre d'ornementation du dehors devenait, au dedans, un luxe d'escaliers prodigieux. Escalier d'honneur magnifique, escalier dĂ©robĂ© dans une tour, escalier de service dans une autre, escalier partout ! Patissot, par hasard, ouvre une porte et recule stupĂ©fait. C'Ă©tait un temple, cet endroit dont les gens respectables ne prononcent le nom qu'en anglais, un sanctuaire original et charmant, d'un goĂ»t exquis, ornĂ© comme une pagode, et dont la dĂ©coration avait assurĂ©ment coĂ»tĂ© de grands efforts de pensĂ©e. Ils visitĂšrent ensuite le parc, compliquĂ©, mouvementĂ©, torturĂ©, plein de vieux arbres. Mais le journaliste voulut absolument prendre congĂ©, et, remerciant beaucoup, quitta le maĂźtre. Ils rencontrĂšrent, en sortant, un jardinier ; Patissot lui demanda "Y a-t-il longtemps que M. Meissonier possĂšde cela ?" Le bonhomme rĂ©pondit "Oh, monsieur, faudrait s'expliquer. Il a bien achetĂ© la terre en 1846, mais la maison ! ! ! il l'a dĂ©molie et reconstruite dĂ©jĂ cinq ou six fois depuis... Je suis sĂ»r qu'il y a deux millions lĂ dedans, Monsieur !" Et Patissot, en s'en allant, fut pris d'une immense considĂ©ration pour cet homme, non pas tant Ă cause de ses grands succĂšs, de sa gloire et de son talent, mais parce qu'il mettait tant d'argent pour une fantaisie, tandis que les bourgeois ordinaires se privent de toute fantaisie pour amasser de l'argent ! AprĂšs avoir traversĂ© Poissy, ils prirent, Ă pied, la route de MĂ©dan. Le chemin suit d'abord la Seine, peuplĂ©e d'Ăźles charmantes en cet endroit, puis remonte pour traverser le joli village de Villaines, redescend un peu, et pĂ©nĂštre enfin au pays habitĂ© par l'auteur des Rougon-Macquart. Une Ă©glise ancienne et coquette, flanquĂ©e de deux tourelles, se prĂ©senta d'abord sur la gauche. Ils firent encore quelques pas, et un paysan qui passait leur indiqua la porte du romancier. Avant d'entrer, ils examinĂšrent l'habitation. Une grande construction carrĂ©e et neuve, trĂšs haute, semblait avoir accouchĂ©, comme la montagne de la fable, d'une toute petite maison blanche blottie Ă son pied. Cette derniĂšre maison, la demeure primitive, a Ă©tĂ© bĂątie par l'ancien propriĂ©taire. La tour fut Ă©difiĂ©e par Zola. Ils sonnĂšrent. Un chien Ă©norme, croisement de montagnard et de terre-neuve, se mit Ă hurler si terriblement que Patissot Ă©prouvait un vague dĂ©sir de retourner sur ses pas. Mais un domestique, accourant, calma Bertrand, ouvrit la porte et reçut la carte du journaliste pour la porter Ă son maĂźtre. "Pourvu qu'il nous reçoive ! murmurait Patissot ; ça m'ennuierait rudement d'ĂȘtre venu jusqu'ici sans le voir." Son compagnon souriait - Ne craignez rien ; j'ai mon idĂ©e pour entrer. Mais le domestique, qui revenait, les pria simplement de le suivre. Ils pĂ©nĂ©trĂšrent dans la construction neuve, et Patissot, fort Ă©mu, soufflait en gravissant un escalier de forme ancienne, qui les conduisit au second Ă©tage. Il cherchait en mĂȘme temps Ă se figurer cet homme dont le nom sonore et glorieux rĂ©sonne en ce moment Ă tous les coins du monde, au milieu de la haine exaspĂ©rĂ©e des uns, de l'indignation vraie ou feinte des gens du monde, du mĂ©pris envieux de quelques confrĂšres, du respect de toute une foule de lecteurs, et de l'admiration frĂ©nĂ©tique d'un grand nombre ; et il s'attendait Ă voir apparaĂźtre une sorte de gĂ©ant barbu, d'aspect terrible, avec une voix retentissante, et d'abord peu engageant. La porte s'ouvrit sur une piĂšce dĂ©mesurĂ©ment grande et haute qu'un vitrage, donnant sur la plaine, Ă©clairait dans toute sa largeur. Des tapisseries anciennes couvraient les murs ; Ă gauche, une cheminĂ©e monumentale, flanquĂ©e de deux bonshommes de pierre, auraient pu brĂ»ler un chĂȘne centenaire en un jour ; et une table immense, chargĂ©e de livres, de papiers et de journaux, occupait le milieu de cet appartement tellement vaste et grandiose qu'il accaparait l'oeil tout d'abord, et que l'attention ne se portait qu'ensuite vers l'homme, Ă©tendu, quand ils entrĂšrent, sur un divan oriental oĂč vingt personnes auraient dormi. Il fit quelques pas vers eux, salua, dĂ©signa de la main deux siĂšges et se remit sur son divan, une jambe repliĂ©e sous lui. Un livre Ă son cĂŽtĂ© gisait, et il maniait de la main droite un couteau Ă papier en ivoire dont il contemplait le bout de temps en temps, d'un seul oeil, en fermant l'autre avec une obstination de myope. Pendant que le journaliste expliquait l'intention de sa visite, et que l'Ă©crivain l'Ă©coutait sans rĂ©pondre encore, en le regardant fixement par moments, Patissot, de plus en plus gĂȘnĂ©, considĂ©rait cette cĂ©lĂ©britĂ©. AgĂ© de quarante ans Ă peine, il Ă©tait de taille moyenne, assez gros et d'aspect bonhomme. Sa tĂȘte trĂšs semblable Ă celles qu'on retrouve dans beaucoup de tableaux italiens du XVIe siĂšcle, sans ĂȘtre belle au sens plastique du mot, prĂ©sentait un grand caractĂšre de puissance et d'intelligence. Les cheveux courts se redressaient sur le front trĂšs dĂ©veloppĂ©. Un nez droit s'arrĂȘtait, coupĂ© net, comme par un coup de ciseau, trop brusque, au-dessus de la lĂšvre supĂ©rieure, qu'ombrageait une moustache assez Ă©paisse ; et le menton entier Ă©tait couvert de barbe taillĂ©e prĂšs de la peau. Le regard noir, souvent ironique, pĂ©nĂ©trait ; et l'on sentait que lĂ derriĂšre une pensĂ©e toujours active travaillait, perçant les gens, interprĂ©tant les paroles, analysant les gestes, dĂ©nudant le cĆur. Cette tĂȘte ronde et forte Ă©tait bien celle de son nom, rapide et court, aux deux syllabes bondissantes dans le retentissement des deux voyelles. Quand le journaliste eut terminĂ© son boniment, l'Ă©crivain lui rĂ©pondit qu'il ne voulait point s'engager ; qu'il verrait cependant plus tard ; que son plan mĂȘme n'Ă©tait point encore suffisamment arrĂȘtĂ©. Puis il se tut. C'Ă©tait un congĂ©, et les deux hommes, un peu confus, se levĂšrent. Mais un dĂ©sir envahit Patissot il voulait que ce personnage si connu lui dĂźt un mot, un mot quelconque, qu'il pourrait rĂ©pĂ©ter Ă ses collĂšgues ; et, s'enhardissant, il balbutia "Oh ! Monsieur, si vous saviez combien j'apprĂ©cie vos ouvrages !" L'autre s'inclina, mais ne rĂ©pondit rien. Patissot devenait tĂ©mĂ©raire, il reprit "C'est un bien grand honneur pour moi de vous parler aujourd'hui." L'Ă©crivain salua encore, mais d'un air roide et impatientĂ©. Patissot s'en aperçut, et, perdant la tĂȘte, il ajouta en se retirant "Quelle su-su-superbe propriĂ©tĂ© !" Alors le propriĂ©taire s'Ă©veilla dans le cĆur indiffĂ©rent de l'homme de lettres qui, souriant, ouvrit le vitrage pour montrer l'Ă©tendue de la perspective. Un horizon dĂ©mesurĂ© s'Ă©largissait de tous les cĂŽtĂ©s, c'Ă©tait Triel, Pisse-Fontaine, Chanteloup, toutes les hauteurs de l'Hautrie, et la Seine, Ă perte de vue. Les deux visiteurs en extase fĂ©licitaient ; et la maison leur fut ouverte. Ils virent tout, jusqu'Ă la cuisine Ă©lĂ©gante dont les murs et le plafond mĂȘme, recouverts en faĂŻence Ă dessins bleus, excitent l'Ă©tonnement des paysans. "Comment avez-vous achetĂ© cette demeure ?" demanda le journaliste. Et le romancier raconta que, cherchant une bicoque Ă louer pour un Ă©tĂ© il avait trouvĂ© la petite maison, adossĂ©e Ă la nouvelle, qu'on voulait vendre quelques milliers de francs, une bagatelle, presque rien. Il acheta sĂ©ance tenante. - Mais tout ce que vous avez ajoutĂ© a dĂ» vous coĂ»ter cher ensuite ? L'Ă©crivain sourit "Oui, pas mal !" Et les deux hommes s'en allĂšrent. Le journaliste, tenant le bras de Patissot, philosophait, d'une voix lente "Tout gĂ©nĂ©ral a son Waterloo, disait-il ; tout Balzac a ses Jardies et tout artiste habitant la campagne a son cĆur de propriĂ©taire." Ils prirent le train Ă la station de Villaines, et, dans le wagon, Patissot jetait tout haut les noms de l'illustre peintre et du grand romancier, comme s'ils eussent Ă©tĂ© ses amis. Il s'efforçait mĂȘme de laisser croire qu'il avait dĂ©jeunĂ© chez l'un et dĂźnĂ© chez l'autre. == VI Avant la fĂȘte == La fĂȘte approche et des frĂ©missements courent dĂ©jĂ par les rues, ainsi qu'il en passe Ă la surface des flots lorsque se prĂ©pare une tempĂȘte. Les boutiques, pavoisĂ©es de drapeaux, mettent sur leurs portes une gaietĂ© de teinturerie, et les merciers trompent sur les trois couleurs comme les Ă©piciers sur la chandelle. Les cĆurs peu Ă peu s'exaltent ; on en parle aprĂšs dĂźner sur le trottoir ; on a des idĂ©es qu'on Ă©change "Quelle fĂȘte ce sera, mes amis, quelle fĂȘte !" - Vous ne savez pas ? tous les souverains viendront incognito, en bourgeois, pour voir ça. - Il paraĂźt que l'empereur de Russie est arrivĂ© ; il compte se promener partout avec le prince de Galles. - Oh ! pour une fĂȘte, ce sera une fĂȘte ! Ce sera une fĂȘte ; ce que M. Patissot, bourgeois de Paris, appelle une fĂȘte une de ces innommables cohues qui, pendant quinze heures, roulent d'un bout Ă l'autre de la citĂ© toutes les laideurs physiques chamarrĂ©es d'oripeaux, une houle de corps en transpiration oĂč ballotteront, Ă cĂŽtĂ© de la lourde commĂšre Ă rubans tricolores, engraissĂ©e derriĂšre son comptoir et geignant d'essoufflement, l'employĂ© rachitique remorquant sa femme et son mioche, l'ouvrier portant le sien Ă califourchon sur la tĂȘte, le provincial ahuri, Ă la physionomie de crĂ©tin stupĂ©fait, le palefrenier rasĂ© lĂ©gĂšrement, encore parfumĂ© d'Ă©curie. Et les Ă©trangers costumĂ©s en singes, des Anglaises pareilles Ă des girafes, et le porteur d'eau dĂ©barbouillĂ©, et la phalange innombrable des petits bourgeois, rentiers, inoffensifs que tout amuse. O bousculade, Ă©reintement, sueurs et poussiĂšre, vocifĂ©rations, remous de chair humaine, extermination des cors aux pieds, ahurissement de toute pensĂ©e, senteurs affreuses, remuements inutiles, haleines des multitudes, brises Ă l'ail, donnez Ă M. Patissot toute la joie que peut contenir son cĆur ! Il a fait ses prĂ©paratifs aprĂšs avoir lu sur les murs de son arrondissement la proclamation du maire. Elle disait, cette prose "C'est principalement sur la fĂȘte particuliĂšre que j'appelle votre attention. Pavoisez vos demeures, illuminez vos fenĂȘtres. RĂ©unissez-vous, cotisez-vous, pour donner Ă vos maisons, Ă votre rue, une physionomie plus brillante, plus artistique que celle des maisons et des rues voisines." Alors M. Patissot chercha laborieusement quelle physionomie artistique il pouvait donner Ă son logis. Un grave obstacle se prĂ©sentait. Son unique fenĂȘtre donnait sur une cour, une cour obscure, Ă©troite, profonde, oĂč les rats seuls eussent pu voir ses trois lanternes vĂ©nitiennes. Il lui fallait une ouverture publique. Il la trouva. Au premier Ă©tage de sa maison habitait un riche particulier, noble et royaliste, dont le cocher, rĂ©actionnaire aussi, occupait, au sixiĂšme, une mansarde sur la rue. M. Patissot supposa que, en y mettant le prix, toute conscience peut ĂȘtre achetĂ©e, et il proposa cent sous Ă ce citoyen du fouet, pour lui cĂ©der son logis de midi jusqu'Ă minuit. L'offre aussitĂŽt fut acceptĂ©e. Alors il s'inquiĂ©ta de la dĂ©coration. Trois drapeaux, quatre lanternes, Ă©tait-ce assez pour donner Ă cette tabatiĂšre une physionomie artistique ?... pour exprimer toute l'exaltation de son Ăąme ?... Non assurĂ©ment ! Mais, malgrĂ© de longues recherches et des mĂ©ditations nocturnes, M. Patissot n'imagina rien autre chose. Il consulta ses voisins, qui s'Ă©tonnĂšrent de sa question ; il interrogea ses collĂšgues... Tout le monde avait achetĂ© des lanternes et des drapeaux, en y joignant, pour le jour, des dĂ©corations tricolores. Alors il se mit Ă la recherche d'une idĂ©e originale. Il frĂ©quenta les cafĂ©s, abordant les consommateurs ; ils manquaient d'imagination. Puis, un matin, il monta sur l'impĂ©riale d'un omnibus. Un monsieur d'aspect respectable fumait un cigare Ă son cĂŽtĂ© ; un ouvrier, plus loin, grillait sa pipe renversĂ©e ; deux voyous blaguaient prĂšs du cocher ; et des employĂ©s de tout ordre allaient Ă leurs affaires moyennant trois sous. Devant les boutiques, des gerbes de drapeaux resplendissaient sous le soleil levant. Patissot se tourna vers son voisin. "Ce sera une belle fĂȘte", dit-il. Le monsieur lui jeta un regard de travers, et, d'un air rogue "C'est ça qui m'est Ă©gal !" - Vous n'y prendrez pas part ? demanda l'employĂ© stupĂ©fait. L'autre remua dĂ©daigneusement la tĂȘte et dĂ©clara - Ils me font pitiĂ© avec leur fĂȘte ! De quoi la fĂȘte ? Est-ce du gouvernement ?... Je ne le connais pas, le gouvernement, moi, Monsieur ! Mais, Patissot, employĂ© du gouvernement lui-mĂȘme, le prit de haut, et, d'une voix ferme - Le gouvernement, Monsieur, c'est la RĂ©publique. Son voisin ne fut pas dĂ©montĂ©, et, mettant tranquillement ses mains dans ses poches - Eh bien, aprĂšs ?... Je ne m'y oppose pas. La RĂ©publique ou autre chose, je m'en fiche. Ce que je veux, moi, Monsieur, je veux connaĂźtre mon gouvernement. J'ai vu Charles X et je m'y suis ralliĂ©, Monsieur ; j'ai vue Louis-Philippe, et je m'y suis ralliĂ©, Monsieur ; j'ai vu NapolĂ©on, et je m'y suis ralliĂ© ; mais je n'ai jamais vu la RĂ©publique. Patissot, toujours grave, rĂ©pliqua - Elle est reprĂ©sentĂ©e par son PrĂ©sident. L'autre grogna - Eh bien, qu'on me le montre. Patissot haussa les Ă©paules. - Tout le monde peut le voir ; il n'est pas dans une armoire. Mais tout Ă coup le gros monsieur s'emporta. - Pardon, Monsieur, on ne peut pas le voir. J'ai essayĂ© plus de cent fois, moi, Monsieur. Je me suis embusquĂ© auprĂšs de l'ĂlysĂ©e il n'est pas sorti. Un passant m'a affirmĂ© qu'il jouait au billard, au cafĂ© en face ; j'ai Ă©tĂ© au cafĂ© en face il n'y Ă©tait pas. On m'avait promis qu'il irait Ă Melun pour le concours je me suis rendu Ă Melun, et je ne l'ai pas vu. Je suis fatiguĂ©, Ă la fin. Je n'ai pas vu non plus M. Gambetta, et je ne connais pas mĂȘme un dĂ©putĂ©. Il s'animait. - Un gouvernement, Monsieur, ça doit se montrer ; c'est fait pour ça, pas pour autre chose. Il faut qu'on sache tel jour, Ă telle heure, le gouvernement passera par telle rue. De cette façon on y va et on est satisfait. Patissot, calmĂ©, goĂ»tait ces raisons. - Il est vrai dit-il, qu'on aimerait bien connaĂźtre ceux qui vous gouvernent. Le monsieur prit un ton plus doux. - Savez-vous comment je la comprendrais, moi, la fĂȘte ?... Eh bien, Monsieur, je ferais un cortĂšge avec des chars dorĂ©s, comme les voitures du sacre des rois ; et je promĂšnerais dedans les membres du gouvernement, depuis le PrĂ©sident jusqu'aux dĂ©putĂ©s, Ă travers Paris, toute la journĂ©e. Comme ça, au moins, chacun connaĂźtrait la personne de l'Ătat. Mais un des voyous, prĂšs du cocher, se retourna - Et le bĆuf gras, oĂč'squ'on le mettrait ? dit-il. Un rire courut sur les deux banquettes. Patissot comprit l'objection et murmura - Ăa ne serait peut-ĂȘtre pas digne. Le monsieur, aprĂšs avoir rĂ©flĂ©chi, le reconnut. - Alors, dit-il, je les mettrai en vue quelque part, afin qu'on puisse les regarder tous sans se dĂ©ranger ; sur l'arc de triomphe de l'Ătoile, par exemple, et je ferais dĂ©filer devant toute la population. Ăa aurait un grand caractĂšre. Mais le voyou, encore une fois, se retourna - Faudrait des tĂ©lescopes pour voir leurs balles. Le monsieur ne rĂ©pondit pas ; il continua - C'est comme la distribution des drapeaux ! Il faudrait un prĂ©texte, organiser quelque chose, une petite guerre ; et on remettrait ensuite les Ă©tendards aux troupes comme rĂ©compense. Moi, j'avais une idĂ©e, que j'ai Ă©crite au ministre ; mais il n'a point daignĂ© me rĂ©pondre. Puisqu'on a choisi la date de la prise de la Bastille, il fallait organiser le simulacre de cet Ă©vĂ©nement on aurait fait une bastille en carton, brossĂ©e par un dĂ©corateur de théùtre, et cachant dans ses murailles toute la colonne de juillet. Alors, Monsieur, la troupe aurait donnĂ© l'assaut ; ça aurait Ă©tĂ© un beau spectacle et un enseignement en mĂȘme temps de voir l'armĂ©e renverser elle-mĂȘme les remparts de la tyrannie. Puis on l'aurait incendiĂ©e, cette Bastille ; et au milieu des flammes serait apparue la colonne avec le gĂ©nie de la LibertĂ©, symbole d'un ordre nouveau et de l'affranchissement des peuples. Tout le monde, cette fois, l'Ă©coutait sur l'impĂ©riale, trouvant son idĂ©e excellente. Un vieillard affirma - C'est une grande pensĂ©e, Monsieur, et qui vous fait honneur. Il est regrettable que le gouvernement ne l'ait pas adoptĂ©e. Un jeune homme dĂ©clara qu'on devait faire rĂ©citer, dans les rues, les Iambes de Barbier, par des acteurs, pour apprendre simultanĂ©ment au peuple l'art et la libertĂ©. Ces propos excitaient l'enthousiasme. Chacun voulait parler ; les cervelles s'exaltaient. Un orgue de Barbarie, en passant, jeta une phrase de La Marseillaise ; l'ouvrier entonna les paroles, et tout le monde, en chĆur, hurla le refrain. L'allure exaltĂ©e du chant et son rythme enragĂ© allumĂšrent le cocher dont les chevaux fouaillĂ©s galopaient. M. Patissot braillait Ă pleine gorge en se tapant sur les cuisses, et les voyageurs du dedans, Ă©pouvantĂ©s, se demandaient quel ouragan avait Ă©clatĂ© sur leurs tĂȘtes. On s'arrĂȘta enfin, et M. Patissot, jugeant son voisin homme d'initiative, le consulta sur les prĂ©paratifs qu'il comptait faire - Des lampions et des drapeaux, c'est trĂšs bien, disait-il ; mais je voudrais quelque chose de mieux. L'autre rĂ©flĂ©chit longtemps, mais ne trouva rien. Alors M. Patissot, en dĂ©sespoir de cause, acheta trois drapeaux avec quatre lanternes. == VII Une triste histoire == Pour se reposer des fatigues de la fĂȘte, M. Patissot conçut le projet de passer tranquillement le dimanche suivant assis quelque part en face de la nature. Voulant avoir un large horizon, il choisit la terrasse de Saint-Germain. Il se mit en route seulement aprĂšs son dĂ©jeuner, et, lorsqu'il eut visitĂ© le musĂ©e prĂ©historique pour l'acquit de sa conscience, car il n'y comprit rien du tout, il resta frappĂ© d'admiration devant cette promenade dĂ©mesurĂ©e d'oĂč l'on dĂ©couvre au loin Paris, toute la rĂ©gion environnante, toutes les plaines, tous les villages, des bois, des Ă©tangs, des villes mĂȘme, et ce grand serpent bleuĂątre aux ondulations sans nombre, ce fleuve adorable et doux qui passe au cĆur de la France LA SEINE. Dans des lointains que des vapeurs lĂ©gĂšres bleuissaient, Ă des distances incalculables, il distinguait de petits pays comme des taches blanches, au versant des coteaux verts. Et songeant que lĂ bas, sur des points presque invisibles, des hommes comme lui vivaient, souffraient, travaillaient, il rĂ©flĂ©chit pour la premiĂšre fois Ă la petitesse du monde. Il se dit que, dans les espaces, d'autres points plus imperceptibles encore, des univers plus grands que le nĂŽtre cependant, devaient porter des races peut-ĂȘtre plus parfaites ! Mais un vertige le prit devant l'Ă©tendue, et il cessa de penser Ă ces choses qui lui troublaient la tĂȘte. Alors il suivit la terrasse Ă petits pas, dans toute sa largeur, un peu alangui, comme courbaturĂ© par des rĂ©flexions trop lourdes. Alors qu'il fut au bout, il s'assit sur un banc. Un monsieur s'y trouvait dĂ©jĂ , les deux mains croisĂ©es sur sa canne et le menton sur ses mains, dans l'attitude d'une mĂ©ditation profonde. Mais Patissot appartenait Ă la race de ceux qui ne peuvent passer trois secondes Ă cĂŽtĂ© de leur semblable sans lui adresser la parole. Il contempla d'abord son voisin, toussota, puis tout Ă coup "Pourriez-vous, Monsieur, me dire le nom du village que j'aperçois lĂ -bas ?" Le monsieur releva la tĂȘte et, d'une voix triste - C'est Sartrouville. Puis il se tut. Alors Patissot, contemplant l'immense perspective de la terrasse ombragĂ©e d'arbres sĂ©culaires, sentant en ses poumons le grand souffle de la forĂȘt qui bruissait derriĂšre lui, rajeuni par les effluves printaniers des bois et des larges campagnes, eut un petit rire saccadĂ© et, l'oeil vif - Voici de beaux ombrages pour des amoureux. Son voisin se tourna vers lui avec un air dĂ©sespĂ©rĂ© - Si j'Ă©tais amoureux, Monsieur, je me jetterais dans la riviĂšre. Patissot, ne partageant point cet avis, protesta - HĂ© hĂ© ! vous en parlez Ă votre aise ; et pourquoi ça ? - Parce que cela m'a dĂ©jĂ coĂ»tĂ© trop cher pour recommencer. L'employĂ© fit une grimace de joie en rĂ©pondant - Tiens ! si vous avez fait des folies, ça coĂ»te toujours cher. Mais l'autre soupira avec mĂ©lancolie. - Non, Monsieur, je n'en ai pas fait ; j'ai Ă©tĂ© desservi par les Ă©vĂ©nements, voilĂ tout. Patissot, qui flairait une bonne histoire, continua - Nous ne pouvons pourtant pas vivre comme les curĂ©s ; ça n'est pas dans la nature. Alors le bonhomme leva les yeux au ciel lamentablement. - C'est vrai, Monsieur ; mais, si les prĂȘtres Ă©taient des hommes comme les autre, mes malheurs ne seraient pas arrivĂ©s. Je suis ennemi du cĂ©libat ecclĂ©siastique, moi, Monsieur, et j'ai mes raisons pour ça. Patissot, vivement intĂ©ressĂ©, insista - Serait-il indiscret de vous demander ?... - Mon Dieu ! non. Voici mon histoire je suis normand, Monsieur. Mon pĂšre Ă©tait meunier Ă DarnĂ©tal, prĂšs de Rouen ; et, quand il est mort, nous sommes restĂ©s, tout enfants, mon frĂšre et moi, Ă la charge de notre oncle, un bon gros curĂ© cauchois. Il nous Ă©leva, Monsieur, fit notre Ă©ducation, puis nous envoya tous les deux Ă Paris chercher une situation convenable. Mon frĂšre avait vingt et un ans, et moi j'en prenais vingt-deux. Nous nous Ă©tions installĂ©s par Ă©conomie dans le mĂȘme logement, et nous y vivions tranquilles, lorsque advint l'aventure que je vais vous raconter. Un soir, comme je rentrais chez moi, je fis la rencontre, sur le trottoir, d'une jeune dame qui me plut beaucoup. Elle rĂ©pondait Ă mes goĂ»ts un peu forte, Monsieur, et l'air bon enfant. Je n'osai pas lui parler, bien entendu, mais je lui adressai un regard significatif. Le lendemain, je la retrouvai Ă la mĂȘme place ; alors, comme j'Ă©tais timide, je fis un salut seulement ; elle y rĂ©pondit par un petit sourire ; et, le jour d'aprĂšs, je l'abordai. Elle s'appelait Victorine, et elle travaillait Ă la couture dans un magasin de confections. Je sentis bien tout de suite que mon cĆur Ă©tait pris. Je lui dis "Mademoiselle, il me semble que je ne pourrai plus vivre loin de vous." Elle baissa les yeux sans rĂ©pondre ; alors je lui saisis la main, et je sentis qu'elle serrait la mienne. J'Ă©tais pincĂ©, Monsieur ; mais je ne savais comment m'y prendre, Ă cause de mon frĂšre. Ma foi, je me dĂ©cidais Ă tout lui dire, quand il ouvrit la bouche le premier. Il Ă©tait amoureux de son cĂŽtĂ©. Alors il fut convenu qu'on prendrait un autre logement, mais qu'on ne soufflerait mot Ă notre bon oncle, qui adresserait toujours ses lettres Ă mon domicile. Ainsi fut fait ; et, huit jours plus tard, Victorine pendait la crĂ©maillĂšre chez moi. On y fit un petit dĂźner oĂč mon frĂšre amena sa connaissance, et, le soir, quand mon amie eut tout rangĂ©, nous prĂźmes dĂ©finitivement possession de notre logis... Nous dormions peut-ĂȘtre depuis une heure, quand un violent coup de sonnette m'Ă©veilla. Je regarde la pendule trois heures du matin. Je passe une culotte, et je me prĂ©cipite vers la porte, en me disant "C'est un malheur, bien sĂ»r..." C'Ă©tait mon oncle, Monsieur... Il avait sa douillette de voyage, et sa valise Ă la main "Oui, c'est moi mon garçon ; je viens te surprendre, et passer quelques jours Ă Paris. Monseigneur m'a donnĂ© congĂ©." Il m'embrasse sur les deux joues, entre, ferme la porte. J'Ă©tais plus mort que vif, Monsieur. Mais comme il allait pĂ©nĂ©trer dans ma chambre, je lui sautai presque au collet "Non, pas par lĂ , mon oncle ; par ici par ici." Et je le fis entrer dans la salle Ă manger. Voyez-vous ma situation ? que faire ?... Il me dit "Et ton frĂšre ? il dort ? Va donc l'Ă©veiller." Je balbutiai "Non, mon oncle, il a Ă©tĂ© obligĂ© de passer la nuit au magasin pour une commande urgente." Mon oncle se frotta les mains "Alors, ça va, la besogne ?" Mais une idĂ©e me venait. "Vous devez avoir faim, mon oncle, aprĂšs ce voyage ? - Ma foi ! c'est vrai, je casserais bien une petite croĂ»te." Je me prĂ©cipite sur l'armoire j'avais les restes du dĂźner, et c'Ă©tait une rude fourchette que mon oncle, un vrai curĂ© normand capable de manger douze heures de suite. Je sors un morceau de bĆuf pour faire durer le temps, car je savais bien qu'il ne l'aimait pas ; puis lorsqu'il en eut suffisamment mangĂ©, j'apportai les restes d'un poulet, un pĂątĂ© presque tout entier, une salade de pommes de terre, trois pots de crĂšme, et du vin fin que j'avais mis de cĂŽtĂ© pour le lendemain. Ah ! Monsieur, il faillit tomber Ă la renverse "Nom d'un petit bonhomme ! Quel garde-manger !..." Et je le bourre, Monsieur, je le bourre ! Il ne rĂ©sistait pas, d'ailleurs on disait dans le pays, qu'il aurait avalĂ© un troupeau de bĆufs. Lorsqu'il eut tout dĂ©vorĂ©, il Ă©tait cinq heures du matin ! Je me sentais sur des charbons ardents. Je traĂźnai encore une heure avec le cafĂ© et toutes les rincettes ; mais il se leva, Ă la fin. "Voyons ton logement", dit-il. J'Ă©tais perdu, et je le suivis en songeant Ă me jeter par la fenĂȘtre... En entrant dans la chambre, prĂȘt Ă m'Ă©vanouir, attendant nĂ©anmoins je ne sais quel hasard, une suprĂȘme espĂ©rance me fit bondir le cĆur. La brave fille avait fermĂ© les rideaux du lit ! Ah ! s'il pouvait ne pas les ouvrir ? HĂ©las ! Monsieur, il s'en approche tout de suite, sa bougie Ă la main, et d'un seul coup il les relĂšve... il faisait chaud nous avions retirĂ© les couvertures, et il ne restait que le drap, qu'elle tenait fermĂ© sur sa tĂȘte ; mais on voyait, Monsieur, on voyait des contours. Je tremblais de tous mes membres, avec la gorge serrĂ©e, suffoquant. Alors, mon oncle se tourna vers moi, riant jusqu'aux oreilles ; si bien que je faillis sauter au plafond, de stupĂ©faction. - Ah ! ah ! mon farceur, dit-il, tu n'as pas voulu rĂ©veiller ton frĂšre ; eh bien, tu vas voir comment je le rĂ©veille, moi. Et je vis sa grosse main de paysan qui se levait ; et, pendant qu'il Ă©touffait de rire, elle retomba comme le tonnerre sur... sur les contours qu'on voyait, Monsieur. Il y eut un cri terrible dans le lit ; et puis comme une tempĂȘte sous le drap ! Ăa remuait, ça remuait ; elle ne pouvait plus se dĂ©gager. Enfin, elle apparut, presque tout entiĂšre d'un seul coup, avec des yeux comme des lanternes ; et elle regardait mon oncle qui s'Ă©loignait Ă reculons, la bouche ouverte, et soufflant, Monsieur, comme s'il allait se trouver mal ! Alors, je perdis tout Ă fait la tĂȘte, et je m'enfuis... J'errai pendant six jours, Monsieur, n'osant pas rentrer chez moi. Enfin, quand je m'enhardis Ă revenir, il n'y avait plus personne..." Patissot, qu'un grand rire secouait, lĂącha un "Je le crois bien !" qui fit taire son voisin. Mais, au bout d'une seconde, le bonhomme reprit - Je n'ai jamais revu mon oncle, qui m'a dĂ©shĂ©ritĂ©, persuadĂ© que je profitais des absences de mon frĂšre pour exĂ©cuter mes farces. Je n'ai jamais revu Victorine. Toute ma famille m'a tournĂ© le dos ; et mon frĂšre lui-mĂȘme, qui a profitĂ© de la situation, puisqu'il a touchĂ© cent mille francs Ă la mort de mon oncle, semble me considĂ©rer comme un vieux libertin. Et cependant, Monsieur, je vous jure que, depuis ce moment, et jamais... jamais... jamais !... Il y a, voyez-vous, des minutes qu'on n'oublie pas. - Et qu'est-ce que vous faites ici ? demanda Patissot. L'autre, d'un large coup d'oeil, parcourut l'horizon, comme s'il eĂ»t craint d'ĂȘtre entendu par quelque oreille inconnue ; puis il murmura, avec une terreur dans la voix - Je fuis les femmes, Monsieur ! VIII Essai d'amourModifier Beaucoup de poĂštes pensent que la nature n'est pas complĂšte sans la femme, et de lĂ viennent sans doute toutes les comparaisons fleuries qui, dans leurs chants, font tour Ă tour de notre compagne naturelle une rose, une violette, une tulipe, etc., etc. Le besoin d'attendrissement qui nous prend Ă l'heure du crĂ©puscule, quand la brume des soirs commence Ă flotter sur les coteaux, et quand toutes les senteurs de la terre nous grisent, s'Ă©panche imparfaitement en des invocations lyriques ; et M. Patissot, comme les autres, fut pris d'une rage de tendresse, de doux baisers rendus le long des sentiers oĂč coule du soleil, de mains pressĂ©es, de tailles rondes ployant sous son Ă©treinte. Il commençait Ă entrevoir l'amour comme une dĂ©lectation sans bornes, et, dans ses heures de rĂȘveries, il remerciait le grand Inconnu d'avoir mis tant de charme aux caresses des hommes. Mais il lui fallait une compagne, et il ne savait oĂč la rencontrer. Sur le conseil d'un ami, il se rendit aux Folies-BergĂšre. Il en vit lĂ un assortiment complet ; or, il se trouva fort perplexe pour dĂ©cider entre elles, car les dĂ©sirs de son cĆur Ă©taient faits surtout d'Ă©lans poĂ©tiques, et la poĂ©sie ne paraissait pas ĂȘtre le fort des demoiselles aux yeux charbonnĂ©s qui lui jetaient de troublants sourires avec l'Ă©mail de leurs fausses dents. Enfin, son choix s'arrĂȘte sur une jeune dĂ©butante qui paraissait pauvre et timide, et dont le regard triste semblait annoncer une nature assez facilement poĂ©tisable. Il lui donna rendez-vous pour le lendemain neuf heures, Ă la gare Saint-Lazarre. Elle n'y vint pas, mais elle eut la dĂ©licatesse d'envoyer une amie Ă sa place. C'Ă©tait une grande fille rousse, habillĂ©e patriotiquement en trois couleurs et couverte d'un immense chapeau-tunnel dont sa tĂȘte occupait le centre. M. Patissot, un peu dĂ©sappointĂ©, accepta tout de mĂȘme ce remplaçant. Et l'on partit pour Maisons-Laffitte, oĂč Ă©taient annoncĂ©es des rĂ©gates et une grande fĂȘte vĂ©nitienne. AussitĂŽt qu'on fut dans le wagon, occupĂ© dĂ©jĂ par deux messieurs dĂ©corĂ©s, et trois dames qui devaient ĂȘtre au moins des marquises, tant elles montraient de dignitĂ©, la grande rousse, qui rĂ©pondait au nom d'Octavie, annonça Ă Patissot, avec une voix de perruche, qu'elle Ă©tait trĂšs bonne fille, aimant Ă rigoler et adorant la campagne, parce qu'on y cueille des fleurs et qu'on y mange de la friture et elle riait d'un rire aigu Ă casser les vitres, appelant familiĂšrement son compagnon "Mon gros loup." Une honte envahissait Patissot, Ă qui son titre d'employĂ© du gouvernement imposait certaines rĂ©serves. Mais Octavie se tut, regardant de cĂŽtĂ© ses voisines, prise du dĂ©sir immodĂ©rĂ© qui hante toutes les filles de faire connaissance avec des femmes honnĂȘtes. Au bout de cinq minutes, elle crut avoir trouvĂ© un joint, et, tirant de sa poche le Gil-Blas, elle l'offrit poliment Ă l'une des dames, stupĂ©faite, qui refusa d'un signe de tĂȘte. Alors, la grande rousse, blessĂ©e, lĂącha des mots Ă double sens, parlant des femmes qui font leur poire, sans valoir mieux que les autres ; et, quelquefois mĂȘme, elle jetait un gros mot qui faisait un effet de pĂ©tard ratant au milieu de la dignitĂ© glaciale des voyageurs. Enfin on arriva. Patissot voulut tout de suite gagner les coins ombreux du parc, espĂ©rant que la mĂ©lancolie des bois apaiserait l'humeur irritĂ©e de sa compagne. Mais un autre effet se produisit. AussitĂŽt qu'elle fut dans les feuilles et qu'elle aperçut de l'herbe, elle se mit Ă chanter Ă tue-tĂȘte des morceaux d'opĂ©ra traĂźnant dans sa mĂ©moire de linotte, faisant des roulades, passant de Robert le Diable Ă la Muette, affectionnant surtout une poĂ©sie sentimentale dont elle roucoulait les derniers vers avec des sons perçants comme des vrilles. Puis, tout Ă coup, elle eut faim et voulut rentrer. Patissot, qui toujours attendait l'attendrissement espĂ©rĂ©, essayait en vain de la retenir. Alors elle se fĂącha. "Je ne suis pas ici pour m'embĂȘter, n'est-ce pas ?" Et il fallut gagner le restaurant du Petit-Havre, tout prĂšs de l'endroit oĂč devaient avoir lieu les rĂ©gates. Elle commanda un dĂ©jeuner Ă n'en plus finir, une succession de plats comme pour nourrir un rĂ©giment. Puis, ne pouvant attendre, elle rĂ©clama des hors-d'Ćuvre. Une boĂźte de sardines apparut ; elle se jeta dessus Ă croire que le fer-blanc de la boĂźte lui-mĂȘme y passerait ; mais, quand elle eut mangĂ© deux ou trois des petits poissons huileux, elle dĂ©clara qu'elle n'avait plus faim et voulut aller voir les prĂ©paratifs des courses. Patissot, dĂ©sespĂ©rĂ© et pris de fringale Ă son tour, refusa absolument de se lever. Elle partit seule, promettant de revenir pour le dessert ; et il commença Ă manger, silencieux, et solitaire ne sachant comment amener cette nature rebelle Ă la rĂ©alisation de son rĂȘve. Comme elle ne revenait pas, il se mit Ă sa recherche. Elle avait retrouvĂ© des amis, une bande de canotiers presque nus, rouges jusqu'aux oreilles et gesticulant, qui, devant la maison du constructeur Fournaise, rĂ©glaient en vocifĂ©rant tous les dĂ©tails du concours. Deux messieurs d'aspect respectable, des juges sans doute, les Ă©coutaient attentivement. AussitĂŽt qu'elle aperçut Patissot, Octavie, pendue au bras noir d'un grand diable possĂ©dant assurĂ©ment plus de biceps que de cervelle, lui jeta quelques mots dans l'oreille. L'autre rĂ©pondit "C'est entendu." Et elle revint Ă l'employĂ© toute joyeuse, le regard vif, presque caressante. "Je veux faire un tour en bateau", dit-elle. Heureux de la voir si charmante, il consentit Ă ce nouveau dĂ©sir et se procura une embarcation. Mais elle refusa obstinĂ©ment d'assister aux rĂ©gates, malgrĂ© l'envie de Patissot. "J'aime mieux ĂȘtre seule avec toi, mon loup." Un frisson lui secoua le cĆur... Enfin !... Il retira sa redingote et se mit Ă ramer avec furie. Un vieux moulin monumental, dont les roues vermoulues pendaient au-dessus de l'eau, enjambait avec ses deux arches un tout petit bras du fleuve. Ils passĂšrent dessous lentement, et, quand ils furent de l'autre cĂŽtĂ©, ils aperçurent devant eux un bout de riviĂšre adorable, ombragĂ© par de grands arbres, qui formaient au-dessus une sorte de voĂ»te. Le petit bras se dĂ©roulait, tournait, zigzaguait Ă gauche, Ă droite, dĂ©couvrant sans cesse des horizons nouveaux, de larges prairies d'un cĂŽtĂ©, et, de l'autre, une colline toute peuplĂ©e de chalets. On passa devant un Ă©tablissement de bains presque enseveli dans la verdure, un coin charmant et champĂȘtre, oĂč des messieurs en gants frais, auprĂšs de dames enguirlandĂ©es, mettaient toute la gaucherie ridicule des Ă©lĂ©gants Ă la campagne. Elle poussa un cri de joie. "Nous nous baignerons lĂ , tantĂŽt !" Puis, plus loin, dans une sorte de baie, elle voulut s'arrĂȘter "Viens ici, mon gros, tout prĂšs de moi." Elle lui passa les bras au cou et, la tĂȘte appuyĂ©e sur l'Ă©paule de Patissot, elle murmura "Comme on est bien ! comme il fait bon sur l'eau !" Patissot, en effet, nageait dans le bonheur ; et il pensait Ă ces canotiers stupides, qui, sans jamais sentir le charme pĂ©nĂ©trant des berges et la grĂące frĂȘle des roseaux, vont toujours, essoufflĂ©s, suant et abrutis d'exercice, du caboulot oĂč l'on dĂ©jeune au caboulot oĂč l'on dĂźne. Mais, Ă force d'ĂȘtre bien, il s'endormit. Quand il se rĂ©veilla... il Ă©tait seul. Il appela d'abord ; personne ne rĂ©pondit. Inquiet, il monta sur la rive, craignant dĂ©jĂ qu'un malheur ne fĂ»t arrivĂ©. Alors, tout lĂ -bas, et venant vers lui, il vit une yole mince, et longue que quatre rameurs pareils Ă des nĂšgres faisaient filer, ainsi qu'une flĂšche. Elle approchait, courant sur l'eau une femme tenait la barre... Ciel !... on dirait... C'Ă©tait elle !... Pour rĂ©gler le rythme des rames, elle chantait de sa voix coupante une chanson de canotiers qu'elle interrompit un instant quand elle fut devant Patissot. Alors, envoyant un baiser des doigts, elle lui cria "Gros serin, va !" == IX Un dĂźner et quelques idĂ©es == A l'occasion de la fĂȘte nationale, M. Perdrix Antoine, chef de bureau de M. Patissot, fut nommĂ© chevalier de la LĂ©gion d'honneur. Il comptait trente ans de services sous les rĂ©gimes prĂ©cĂ©dents, et dix annĂ©es de ralliement au gouvernement actuel. Ses employĂ©s, quoique murmurant un peu d'ĂȘtre ainsi rĂ©compensĂ©s en la personne de leur chef, jugĂšrent bon de lui offrir une croix enrichie de faux diamants ; et le nouveau chevalier, ne voulant pas rester en arriĂšre, les invita tous Ă dĂźner pour le dimanche suivant, dans sa propriĂ©tĂ© d'AsniĂšres. La maison, enluminĂ©e d'ornements mauresques, avait un aspect de cafĂ©-concert, mais sa situation lui donnait de la valeur, car la ligne du chemin de fer, coupant le jardin dans toute sa largeur, passait Ă 20 mĂštres du perron. Sur le rond de gazon obligatoire, un bassin en ciment romain contenait des poissons rouges, et un jet d'eau, en tout semblable Ă une seringue, lançait parfois en l'air des arcs-en-ciel microscopiques dont s'Ă©merveillaient les visiteurs. L'alimentation de cet irrigateur faisait la constante prĂ©occupation de M. Perdrix qui se levait parfois dĂšs cinq heures du matin afin d'emplir le rĂ©servoir. Il pompait alors avec acharnement, en manche de chemise, son gros ventre dĂ©bordant de la culotte, afin d'avoir, Ă son retour du bureau, la satisfaction de lĂącher les grandes eaux, et de se figurer qu'une fraĂźcheur s'en rĂ©pandait dans le jardin. Le soir du dĂźner officiel, tous les invitĂ©s, l'un aprĂšs l'autre, s'extasiĂšrent sur la situation du domaine, et chaque fois qu'on entendait, au loin, venir un train M. Perdrix leur annonçait sa destination Saint-Germain, le Havre, Cherbourg ou Dieppe, et, par farce, on faisait des signes aux voyageurs penchĂ©s aux portiĂšres. Le bureau complet se trouvait lĂ . C'Ă©tait d'abord M. Capitaine, sous-chef ; M. Patissot, commis principal ; puis MM. De Sombreterre et Vallin, jeunes employĂ©s Ă©lĂ©gants qui ne venaient au bureau qu'Ă leurs heures ; enfin M. Rade, cĂ©lĂšbre dans tout le ministĂšre par les doctrines insensĂ©es qu'il affichait, et l'expĂ©ditionnaire, M. Boivin. M. Rade passait pour un type. Les uns le traitaient de fantaisiste ou d'idĂ©ologue ; les autres de rĂ©volutionnaire ; tout le monde s'accordait Ă dire que c'Ă©tait un maladroit. Vieux dĂ©jĂ , maigre et petit, avec un oeil vif et de longs cheveux blancs, il avait professĂ© toute sa vie le plus profond mĂ©pris pour la besogne administrative. Remueur de livres et grand liseur, d'une nature toujours rĂ©voltĂ©e contre tout, chercheur de vĂ©ritĂ© et contempteur des prĂ©jugĂ©s courants, il avait une façon nette et paradoxale d'exprimer ses opinions qui fermait la bouche aux imbĂ©ciles satisfaits et aux mĂ©contents sans savoir pourquoi. On disait "Ce vieux fou de Rade", ou bien "Cet Ă©cervelĂ© de Rade" ; et la lenteur de son avancement semblait donner raison contre lui aux mĂ©diocres parvenus. L'indĂ©pendance de sa parole faisait trembler bien souvent ses collĂšgues, qui se demandaient avec terreur comment il avait pu conserver sa place. AussitĂŽt qu'on fut Ă table, M. Perdrix, dans un petit discours bien senti, remercia ses "collaborateurs", leur promit sa protection d'autant plus efficace que son autoritĂ© grandissait, et il termina par une pĂ©roraison Ă©mue oĂč il remerciait et glorifiait le gouvernement libĂ©ral et juste, qui sait chercher le mĂ©rite parmi les humbles. M. Capitaine, sous-chef, rĂ©pondit au nom du bureau, fĂ©licita, congratula, salua, exalta, chanta les louanges de tous ; et des applaudissements frĂ©nĂ©tiques accueillirent ces deux morceaux d'Ă©loquence. AprĂšs quoi l'on se mit sĂ©rieusement Ă manger. Tout alla bien jusqu'au dessert, la misĂšre des propos ne gĂȘnant personne. Mais, au cafĂ©, une discussion s'Ă©levant dĂ©chaĂźna tout Ă coup M. Rade, qui se mit Ă passer les bornes. On parlait d'amour naturellement, et un souffle de chevalerie grisant cette salle de bureaucrates, on vantait avec exaltation la beautĂ© supĂ©rieure de la femme, sa dĂ©licatesse d'Ăąme, son aptitude aux choses exquises, la sĂ»retĂ© de son jugement et la finesse de ses sentiments. M. Rade, se mit Ă protester, refusant avec Ă©nergie au sexe qualifiĂ© de "beau" toutes les qualitĂ©s qu'on lui prĂȘtait ; et, devant l'indignation gĂ©nĂ©rale, il cita des auteurs "Schopenhauer, Messieurs, Schopenhauer, un grand philosophe que l'Allemagne vĂ©nĂšre. Voici ce qu'il dit "Il a fallu que l'intelligence de l'homme fĂ»t bien obscurcie par l'amour pour qu'il ait appelĂ© beau ce sexe de petite taille, aux Ă©paules Ă©troites, aux larges hanches et aux jambes courbes. Toute sa beautĂ©, en effet, rĂ©side dans l'instinct de l'amour. Au lieu de le nommer beau, il eĂ»t Ă©tĂ© plus juste de l'appeler l'inesthĂ©tique. Les femmes n'ont ni le sentiment ni l'intelligence de la musique, pas plus que de la poĂ©sie ou des arts plastiques ; ce n'est chez elles que pure singerie, pur prĂ©texte, pure affectation exploitĂ©e par leur dĂ©sir de plaire." - L'homme qui a dit ça est un imbĂ©cile, dĂ©clara M. de Sombreterre. M. Rade, souriant, continua "Et Rousseau, Monsieur ? Voici son opinion "Les femmes, en gĂ©nĂ©ral, n'aiment aucun art, ne se connaissent Ă aucun, et n'ont aucun gĂ©nie." M. de Sombreterre haussa dĂ©daigneusement les Ă©paules "Rousseau est aussi bĂȘte que l'autre, voilĂ tout." M. Rade souriait toujours "Et lord Byron, qui pourtant aimait les femmes, Monsieur, voici ce qu'il dit "On devrait bien les nourrir et les bien vĂȘtir, mais ne point les mĂȘler Ă la sociĂ©tĂ©. Elles devraient aussi ĂȘtre instruites de la religion, mais ignorer la poĂ©sie et la politique, ne lire que les livres de piĂ©tĂ© et de cuisine." M. Rade continua "Voyez, Messieurs, elles Ă©tudient toutes la peinture et la musique. Il n'y en a pas une cependant qui ait fait un bon tableau ou un opĂ©ra remarquable ! Pourquoi, messieurs ? Parce qu'elles sont le sexus sequior, le sexe second Ă tous Ă©gards, fait pour se tenir Ă l'Ă©cart et au second plan. M. Patissot se fĂąchait "Et Mme Sand, Monsieur ? - Une exception, Monsieur, une exception. Je vous citerai encore un passage d'un autre grand philosophe, anglais celui-lĂ Herbert Spencer. Voici "Chaque sexe est capable, sous l'influence de stimulants particuliers, de manifester des facultĂ©s ordinairement rĂ©servĂ©es Ă l'autre. Ainsi, pour prendre un cas extrĂȘme, une excitation spĂ©ciale peut faire donner du lait aux mamelles des hommes ; on a vu, pendant des famines, des petits enfants privĂ©s de leur mĂšre ĂȘtre sauvĂ©s de cette façon . Nous ne mettons pourtant pas cette facultĂ© d'avoir du lait au nombre des attributs du mĂąle. De mĂȘme, l'intelligence fĂ©minine qui, dans certains cas, donnera des produits supĂ©rieurs, doit ĂȘtre nĂ©gligĂ©e dans l'estimation de la nature fĂ©minine, en tant que facteur social..." M. Patissot, blessĂ© dans tous ses instincts chevaleresques originels, dĂ©clara "Vous n'ĂȘtes pas Français, Monsieur. La galanterie française est une des formes du patriotisme." M. Rade releva la balle. "J'ai fort peu de patriotisme, Monsieur, le moins possible." Un froid se rĂ©pandit, mais il continua tranquillement "Admettez-vous avec moi que la guerre soit une chose monstrueuse ; que cette coutume d'Ă©gorgement des peuples constitue un Ă©tat permanent de sauvagerie ; qu'il soit odieux, alors que le seul bien rĂ©el est "la vie", de voir les gouvernements, dont le devoir est de protĂ©ger l'existence de leurs sujets, chercher avec obstination des moyens de destruction ? Oui, n'est-ce pas. - Eh bien, si la guerre est une chose horrible, le patriotisme ne serait-il pas l'idĂ©e mĂšre qui l'entretient ? Quand un assassin tue, il a une pensĂ©e, c'est de voler. Quand un brave homme, Ă coups de baĂŻonnette, crĂšve un autre honnĂȘte homme, pĂšre de famille ou grand artiste peut-ĂȘtre, Ă quelle pensĂ©e obĂ©it-il ?..." Tout le monde se sentait profondĂ©ment blessĂ©. "Quand on pense des choses pareilles, on ne les dit pas en sociĂ©tĂ©." M. Patissot reprit "Il y a pourtant, Monsieur, des principes que tous les honnĂȘtes gens reconnaissent." M. Rade demanda "Lesquels ?" Alors, solennellement, M. Patissot prononça "La morale, Monsieur." M. Rade rayonnait, il s'Ă©cria "Un seul exemple, Messieurs, un tout petit exemple. Quelle opinion avez-vous des messieurs Ă casquette de soie qui font sur les boulevards extĂ©rieurs le joli mĂ©tier que vous savez, et qui en vivent ?" Une moue de dĂ©goĂ»t parcourut la table "Eh bien ! Messieurs, il y a un siĂšcle seulement, quand un Ă©lĂ©gant gentilhomme, trĂšs chatouilleux sur le point d'honneur, avait pour... amie... une "trĂšs belle et honneste dame de haute lignĂ©e", il Ă©tait fort bien portĂ© de vivre Ă ses dĂ©pens, Messieurs, et mĂȘme de la ruiner tout Ă fait. On trouvait ce jeu-lĂ charmant. Donc les principes de morale ne sont pas fixes... et alors..." M. Perdrix, visiblement embarrassĂ©, l'arrĂȘta "Vous sapez les bases de la sociĂ©tĂ©, monsieur Rade, il faut toujours avoir des principes. Ainsi, en politique, voici M. de Sombreterre qui est lĂ©gitimiste, M. Vallin orlĂ©aniste, M. Patissot et moi rĂ©publicains, nous avons des principes trĂšs diffĂ©rents, n'est-ce pas, et cependant nous nous entendons fort bien parce que nous en avons." Mais M. Rade s'Ă©cria "Moi aussi, j'en ai, Messieurs, j'en ai de trĂšs arrĂȘtĂ©s." M. Patissot releva la tĂȘte, et, froidement "Je serais heureux de les connaĂźtre, Monsieur." M. Rade ne se fit pas prier "Les voici, Monsieur." 1er principe. - Le gouvernement d'un seul est une monstruositĂ©. 2e principe. - Le suffrage restreint est une injustice. 3e principe. - Le suffrage universel est une stupiditĂ©. En effet, livrer des millions d'hommes, des intelligences d'Ă©lite, des savants, des gĂ©nies mĂȘme, au caprice, au bon vouloir d'un ĂȘtre qui, dans un moment de gaietĂ©, de folie, d'ivresse ou d'amour, n'hĂ©sitera pas Ă tout sacrifier pour sa fantaisie exaltĂ©e, dĂ©pensera l'opulence du pays pĂ©niblement amassĂ©e par tous, fera hacher des milliers d'hommes sur les champs de bataille, etc., etc., me paraĂźt ĂȘtre, Ă moi, simple raisonneur, une monstrueuse aberration. Mais en admettant que le pays doive se gouverner lui-mĂȘme, exclure sous un prĂ©texte toujours discutable une partie des citoyens de l'administration des affaires est une injustice si flagrante, qu'il me semblait inutile de la discuter davantage. Reste le suffrage universel. Vous admettez bien avec moi que les hommes de gĂ©nie sont rares, n'est-ce pas ? Pour ĂȘtre large, convenons qu'il y en ait cinq en France, en ce moment. Ajoutons, toujours pour ĂȘtre large, deux cents hommes de grand talent, mille autres possĂ©dant des talents divers, et dix mille hommes supĂ©rieurs d'une façon quelconque. VoilĂ un Ă©tat-major de onze mille deux cent cinq esprits. AprĂšs quoi vous avez l'armĂ©e des mĂ©diocres, qui suit la multitude des imbĂ©ciles. Comme les mĂ©diocres et les imbĂ©ciles forment toujours l'immense majoritĂ©, il est inadmissible qu'ils puissent Ă©lire un gouvernement intelligent. Pour ĂȘtre juste, j'ajoute que logiquement le suffrage universel me semble le seul principe admissible, mais qu'il est inapplicable, voici pourquoi. Faire concourir au gouvernement toutes les forces vives d'un pays, reprĂ©senter tous les intĂ©rĂȘts, tenir compte de tous les droits, est un rĂȘve idĂ©al, mais peu pratique, car la seule force que vous puissiez mesurer est justement celle qui devrait ĂȘtre la plus nĂ©gligĂ©e, la force stupide, le nombre. D'aprĂšs votre mĂ©thode, le nombre inintelligent prime le gĂ©nie, le savoir, toutes les connaissances acquises, la richesse, l'industrie, etc., etc. Quand vous pourrez donner Ă un membre de l'Institut dix mille voix contre une au chiffonnier, cent voix au grand propriĂ©taire contre dix voix Ă son fermier, vous aurez Ă©quilibrĂ© Ă peu prĂšs les forces et obtenu une reprĂ©sentation nationale qui vraiment reprĂ©sentera toutes les puissances de la nation. Mais je vous dĂ©fie bien de faire ça. Voici mes conclusions Autrefois, quand on ne pouvait exercer aucune profession, on se faisait photographe ; aujourd'hui on se fait dĂ©putĂ©. Un pouvoir ainsi composĂ© sera toujours lamentablement incapable ; mais incapable de faire du mal autant qu'incapable de faire du bien. Un tyran, au contraire, s'il est bĂȘte, peut faire beaucoup de mal et, s'il se rencontre intelligent ce qui est infiniment rare, beaucoup de bien. Entre ces formes de gouvernement, je ne me prononce pas ; et je me dĂ©clare anarchiste, c'est-Ă -dire partisan du pouvoir le plus effacĂ©, le plus insensible, le plus libĂ©ral au grand sens du mot, et rĂ©volutionnaire en mĂȘme temps, c'est-Ă -dire l'ennemi Ă©ternel de ce mĂȘme pouvoir, qui ne peut ĂȘtre, de toute façon, qu'absolument dĂ©fectueux. VoilĂ . Des cris d'indignation s'Ă©levĂšrent autour de la table, et tous, lĂ©gitimiste, orlĂ©aniste, rĂ©publicains par nĂ©cessitĂ©, se fĂąchĂšrent tout rouge. M. Patissot, particuliĂšrement, suffoquait et, se tournant vers M. Rade "Alors, Monsieur, vous ne croyez Ă rien." L'autre rĂ©pondit simplement "Non, Monsieur." La colĂšre qui souleva tous les convives empĂȘcha M. Rade de continuer, et M. Perdrix, redevenant chef, ferma la discussion. "Assez, Messieurs, je vous en prie. Nous avons chacun notre opinion, n'est-ce pas, et nous ne sommes pas disposĂ©s Ă en changer." On approuva cette parole juste. Mais M. Rade, toujours rĂ©voltĂ©, voulut avoir le dernier mot. "J'ai pourtant une morale, dit-il, elle est bien simple et toujours applicable ; une phrase la formule, la voici "Ne faites pas Ă autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fĂźt." Je vous dĂ©fie de la mettre en dĂ©faut, tandis qu'en trois arguments je me charge de dĂ©molir le plus sacrĂ© de vos principes." Cette fois on ne rĂ©pondit pas. Mais comme on rentrait le soir deux par deux, chacun disait Ă son compagnon "Non, vraiment M. Rade va beaucoup trop loin. Il a un coup de marteau certainement. On devrait le nommer sous-chef Ă Charenton." == X SĂ©ance publique == Des deux cĂŽtĂ©s d'une porte au-dessus de laquelle le mot "Bal" s'Ă©talait en lettres voyantes, de larges affiches d'un rouge violent annonçaient que, ce dimanche-lĂ , ce lieu de plaisir populaire recevait une autre destination. M. Patissot, qui flĂąnait comme un bon bourgeois, en digĂ©rant son dĂ©jeuner, et se dirigeait tout doucement vers la gare, s'arrĂȘta, l'oeil saisi par cette couleur Ă©carlate, et il lut ASSOCIATION GĂNĂRALE INTERNATIONALE POUR LA REVENDICATION DES DROITS DE LA FEMME COMITĂ CENTRAL SIĂGEANT A PARIS GRANDE SĂANCE PUBLIQUE Sous la prĂ©sidence de la citoyenne libre penseuse ZoĂ© Lamour et de la citoyenne nihiliste russe Ăva Schourine, avec le concours d'une dĂ©lĂ©gation de citoyennes du cercle libre de la PensĂ©e indĂ©pendante, et d'un groupe de citoyens adhĂ©rents. La citoyenne CĂ©sarine Brau et le citoyen Sapience Cornut, retour d'exil, prendront la parole. PRIX D'ENTRĂE 1 FRANC. Une vieille dame Ă lunettes, assise devant une table couverte d'un tapis, percevait l'argent. M. Patissot entra. Dans la salle, dĂ©jĂ presque pleine, flottait cette odeur de chien mouillĂ©, que dĂ©gagent toujours les jupes des vieilles filles, avec un reste de parfums suspects des bals publics. M. Patissot en cherchant bien, dĂ©couvrit une place libre au second rang, Ă cĂŽtĂ© d'un vieux monsieur dĂ©corĂ© et d'une petite femme vĂȘtue en ouvriĂšre, Ă l'oeil exaltĂ©, ayant sur la joue une marbrure enflĂ©e. Le bureau Ă©tait au complet La citoyenne ZoĂ© Lamour, une jolie brune replĂšte, portant des fleurs rouges dans ses cheveux noirs, partageait la prĂ©sidence avec une petite blonde maigre, la citoyenne nihiliste russe Ăva Schourine. Juste au-dessous d'elles, l'illustre citoyenne CĂ©sarine Brau, surnommĂ©e le "Tombeur des hommes", belle fille aussi, Ă©tait assise Ă cĂŽtĂ© du citoyen Sapience Cornut, retour d'exil. Celui-lĂ , un vieux solide Ă tous crins, d'aspect fĂ©roce, regardait la salle comme un chat regarde une voliĂšre d'oiseaux, et ses poings fermĂ©s reposaient sur ses genoux. A droite, une dĂ©lĂ©gation d'antiques citoyennes sevrĂ©es d'Ă©poux, sĂ©chĂ©es dans le cĂ©libat, et exaspĂ©rĂ©es dans l'attente, faisait vis-Ă -vis Ă un groupe de citoyens rĂ©formateurs de l'humanitĂ©, qui n'avaient jamais coupĂ© ni leur barbe ni leurs cheveux, pour indiquer sans doute l'infini de leurs aspirations. Le public Ă©tait mĂȘlĂ©. Les femmes, en majoritĂ©, appartenaient Ă la caste des portiĂšres et des marchandes qui ferment boutique le dimanche. Partout le type de la vieille fille inconsolable dit trumeau rĂ©apparaissait entre les faces rouges des bourgeoises. Trois collĂ©giens parlaient bas dans un coin, venus pour ĂȘtre au milieu de femmes. Quelques familles Ă©taient entrĂ©es par curiositĂ©. Mais au premier rang un nĂšgre en coutil jaune, un nĂšgre frisĂ©, magnifique, regardait obstinĂ©ment le bureau en riant de l'une Ă l'autre oreille, d'un rire muet, contenu, qui faisait Ă©tinceler ses dents blanches dans sa face noire. Il riait sans un mouvement du corps, comme un homme ravi, transportĂ©. Pourquoi Ă©tait-il lĂ ? MystĂšre. Avait-il cru entrer au spectacle ? Ou bien se disait-il dans sa boule crĂ©pue d'Africain "Vrai, vrai, ils sont trop drĂŽles, ces farceurs-lĂ ; ce n'est pas sous l'Ă©quateur qu'on en trouverait de pareils." La citoyenne ZoĂ© Lamour ouvrit la sĂ©ance par un petit discours. Elle rappela la servitude de la femme depuis les origines du monde ; son rĂŽle obscur, toujours hĂ©roĂŻque, son dĂ©vouement constant Ă toutes les grandes idĂ©es. Elle la compara au peuple d'autrefois, au peuple des rois et de l'aristocratie, l'appelant "l'Ă©ternelle martyre" pour qui tout homme est un maĂźtre ; et, dans un grand mouvement lyrique, elle s'Ă©cria "Le peuple a eu son 89, - ayons le nĂŽtre ; l'homme opprimĂ© a fait sa RĂ©volution ; le captif a brisĂ© sa chaĂźne ; l'esclave indignĂ© s'est rĂ©voltĂ©. Femmes, imitons nos despotes. RĂ©voltons-nous ; brisons l'antique chaĂźne du mariage et de la servitude ; marchons Ă la conquĂȘte de nos droits ; faisons aussi notre rĂ©volution." Elle s'assit au milieu d'un tonnerre d'applaudissements ; et le nĂšgre, dĂ©lirant de joie, se tapait le front contre ses genoux en poussant des cris aigus. La citoyenne nihiliste russe Ăva Schourine se leva, et, d'une voix perçante et fĂ©roce "Je suis Russe, dit-elle. J'ai levĂ© l'Ă©tendard de la rĂ©volte ; cette main a frappĂ© les oppresseurs de ma patrie ; et, je le dĂ©clare Ă vous, femmes françaises, qui m'Ă©coutez, je suis prĂȘte, sous tous les soleils, dans toutes les parties de l'univers, Ă frapper la tyrannie de l'homme, Ă venger partout la femme odieusement opprimĂ©e." Un grand tumulte d'approbation eut lieu, et le citoyen Sapience Cornut, lui-mĂȘme, se levant, frotta galamment sa barbe jaune contre cette main vengeresse. C'est alors que la cĂ©rĂ©monie prit un caractĂšre vraiment international. Les citoyennes dĂ©lĂ©guĂ©es par les puissances Ă©trangĂšres se levĂšrent l'une aprĂšs l'autre, apportant l'adhĂ©sion de leurs patries. Une Allemande parla d'abord. ObĂšse, avec une vĂ©gĂ©tation de filasse sur le crĂąne, elle bredouillait d'une voix pĂąteuse - Che feu tire toute la choie qu'on a Ă©brouvĂ©e dans la fieille Allemagne quand on a chu le grand moufement des femmes barisiennes. Nos boitrines elle frappa la sienne, qui ne rĂ©sista pas au choc, nos boitrines ont trĂ©chailli, nos... nos... che ne barle pas trĂšs pien, mais nous chommes avec vous." Une Italienne, une Espagnole, une SuĂ©doise en dirent autant en des langages inattendus ; et, pour finir, une Anglaise dĂ©mesurĂ©e, dont les dents semblaient des instruments de jardinage, s'exprima en ces termes "Je volĂ© aussi apĂŽtĂ© le participĂ©chĂŽne de la libre Hangleterre Ă la manifestĂ©chĂŽne si... si... pittoresque de la populĂ©chĂŽne fĂ©minine de France pour l'Ă©mancipĂ©chĂŽne de cette pĂątie fĂ©minine. Hip ! hip ! hurrah !" Cette fois, le nĂšgre se mit Ă pousser de tels cris d'enthousiasme, avec des gestes de satisfaction si immodĂ©rĂ©s jetant ses jambes par-dessus le dossier des banquettes et se tapant les cuisses avec fureur, que deux commissaires de la sĂ©ance furent obligĂ©s de le calmer. Le voisin de Patissot murmura "Des hystĂ©riques ! toutes hystĂ©riques." Patissot croyant qu'on lui parlait, se retourna "PlaĂźt-il ?" Le monsieur s'excusa. "Pardon, je ne vous parlais pas. Je disais seulement que toutes ces folles sont des hystĂ©riques !" M. Patissot, prodigieusement surpris, demanda "Vous les connaissez donc ? - Un peu, Monsieur ! ZoĂ© Lamour a fait son noviciat pour ĂȘtre religieuse. Et d'une. Ăva Schourine a Ă©tĂ© poursuivie comme incendiaire et reconnue folle. Et de deux. CĂ©sarine Brau est une simple intrigante qui veut faire parler d'elle. J'en aperçois trois autres lĂ -bas qui ont passĂ© dans mon service Ă l'hĂŽpital de X... Quand Ă tous les vieux carcans qui nous entourent, je n'ai pas besoin d'en parler." Mais des "chut !" partaient de tous les cĂŽtĂ©s. Le citoyen Sapience Cornut, retour d'exil, se levait. Il roula d'abord des yeux terribles ; puis, d'une voix creuse qui semblait le mugissement du vent dans une caverne, il commença. "Il est des mots grands comme des principes, lumineux comme des soleils, retentissants comme des coups de tonnerre LibertĂ© ! ĂgalitĂ© ! FraternitĂ© ! Ce sont les banniĂšres des peuples. Sous leurs plis, nous avons marchĂ© Ă l'assaut des tyrannies. A votre tour, ĂŽ femmes, de les brandir comme des armes pour marcher Ă la conquĂȘte de l'indĂ©pendance. Soyez libres, libres dans l'amour, dans la maison, dans la patrie. Devenez nos Ă©gales au foyer, nos Ă©gales dans la rue, nos Ă©gales surtout dans la politique et devant la loi. FraternitĂ© ! Soyez nos sĆurs, les confidentes de nos projets grandioses, nos compagnes vaillantes. Soyez, devenez vĂ©ritablement une moitiĂ© de l'humanitĂ© au lieu de n'en ĂȘtre qu'une parcelle." Et il se lança dans la politique transcendante, dĂ©veloppant des projets larges comme le monde, parlant de l'Ăąme des sociĂ©tĂ©s, prĂ©disant la RĂ©publique universelle Ă©difiĂ©e sur ces trois bases inĂ©branlables la libertĂ©, l'Ă©galitĂ©, la fraternitĂ©. Quand il se tut, la salle faillit crouler sous les bravos. M. Patissot, stupĂ©fait se tourna vers son voisin. "N'est-il pas un peu fou ?" Le vieux monsieur rĂ©pondit "Non, Monsieur ; ils sont des millions comme ça. C'est un effet de l'instruction." Patissot ne comprenait pas. "De l'instruction ? - Oui ; maintenant qu'ils savent lire et Ă©crire, la bĂȘtise latente se dĂ©gage. - Alors, Monsieur, vous croyez que l'instruction... ? - Pardon, Monsieur, je suis un libĂ©ral, moi. Voici seulement ce que je veux dire Vous avez une montre, n'est-ce pas ? Eh bien, cassez un ressort, et allez la porter Ă ce citoyen Cornut en le priant de la raccommoder. Il vous rĂ©pondra, en jurant, qu'il n'est pas horloger. Mais, si quelque chose se trouve dĂ©traquĂ© dans cette machine infiniment compliquĂ©e qui s'appelle la France, il se croit le plus capable des hommes pour la rĂ©parer sĂ©ance tenante. Et quarante mille braillards de son espĂšce en pensent autant et le proclament sans cesse. Je dis, Monsieur, que nous manquons jusqu'ici de classes dirigeantes nouvelles c'est-Ă -dire d'hommes nĂ©s de pĂšres ayant maniĂ© le pouvoir, Ă©levĂ©s dans cette idĂ©e, instruits spĂ©cialement pour cela comme on instruit spĂ©cialement les jeunes gens qui se destinent Ă la Polytechnique..." Des "chut !" nombreux l'interrompirent encore une fois. Un jeune homme Ă l'air mĂ©lancolique occupait la tribune. Il commença "Mesdames, j'ai demandĂ© la parole pour combattre vos thĂ©ories. RĂ©clamer pour la femme des droits civils Ă©gaux Ă ceux de l'homme Ă©quivaut Ă rĂ©clamer la fin de votre pouvoir. Le seul aspect extĂ©rieur de la femme rĂ©vĂšle qu'elle n'est destinĂ©e ni aux durs travaux physiques ni aux longs efforts intellectuels. Son rĂŽle est autre, mais non moins beau. Elle met de la poĂ©sie dans la vie. De par la puissance de sa grĂące, un rayon de ses yeux, le charme de son sourire, elle domine l'homme, qui domine le monde. L'homme a la force que vous ne pouvez lui prendre ; mais vous avez la sĂ©duction qui captive la force. De quoi vous plaignez-vous ? Depuis que le monde existe, vous ĂȘtes les souveraines et les dominatrices. Rien ne se fait sans vous. C'est pour vous que s'accomplissent toutes les belles Ćuvres. "Mais du jour oĂč vous deviendrez nos Ă©gales, civilement, politiquement, vous deviendrez nos rivales. Prenez garde alors que le charme ne soit rompu qui fait toute votre force. Alors, comme nous sommes incontestablement les plus vigoureux et les mieux douĂ©s pour les sciences et les arts, votre infĂ©rioritĂ© apparaĂźtra, et vous deviendrez vĂ©ritablement des opprimĂ©es. "Vous avez le beau rĂŽle, Mesdames, puisque vous ĂȘtes pour nous la sĂ©duction de la vie, l'illusion sans fin, l'Ă©ternelle rĂ©compense de nos efforts. Ne cherchez donc point Ă en changer. Vous ne rĂ©ussirez pas, d'ailleurs." Mais des sifflets l'interrompirent. Il descendit. Le voisin de Patissot, se levant alors "Un peu romantique, le jeune homme, mais sensĂ© du moins. Venez-vous prendre un bock, Monsieur ? - Avec plaisir." Ils y allĂšrent, pendant que s'apprĂȘtait Ă rĂ©pondre la citoyenne CĂ©saire Brau. 31 mai - 18 aoĂ»t 1880
Lescollections COGNACQ-BARON garnissant une gentilhommiÚre de Vendée La collection PIAUT à Paris et à divers collectionneurs parisiens Expositions publiques : Vendredi 10 octobre de 9 h à 21 h Samedi 11 octobre de 10 h à 18 h Samedià partir de 17 heures, nous convions notre aimable clientÚle à un cocktail musical dans le cadre d'une guinguette World en l'hÎtel des
Cet Ă©tĂ©, pas question de ne PAS se protĂ©ger du soleil. Oui, il faut se mettre de la crĂšme solaire, mais jâaime bien aussi porter des morceaux qui protĂšgent tout en Ă©tant cutes. Ă mon avis, le chapeau de paille est idĂ©al, car il peut Ă la fois rehausser un look estival et protĂ©ger votre beau visage. Rien de mieux! Il existe une panoplie de formes de chapeaux de paille qui sont vraiment tendance cet Ă©tĂ© le canotier, le Borsalino, la cloche, le floppy, le chapeau de cowboy et plein dâautres. Chaque chapeau apporte une touche toujours intĂ©ressante Ă chaque outfit. De quoi sâamuser cet Ă©tĂ©! Voici une sĂ©lection de chapeaux qui vous charmeront certainement Ătes-vous inspirĂ©e? Vous pouvez porter ces chapeaux en tout temps. Il suffit de les agencer avec vos morceaux prĂ©fĂ©rĂ©s de l'Ă©tĂ©, comme le jeans boyfriend, la robe maxi, le short, la salopette, la jupe patineuse, la jupe-culotte, etc. Les possibilitĂ©s sont infinies! Osez, vous verrez! Ătes-vous prĂȘtes Ă adopter le chapeau de paille Ă votre garde-robe?
LesboĂźtes de nuit câest du passĂ©. DorĂ©navant si Mademoiselle Lili a envie de danser, elle se rend dans une bonne vieille guinguette. Le premier dimanche du printemps, j'ai donnĂ© un coup de fer sur ma robe bouffante en dentelle blanche, pris mon chapeau de paille avant de mâinstaller dans le RER pour quitter lâenceinte de la capitale et rejoindre Champigny-sur-Marne.
Mouche est une nouvelle issue de LâInutile BeautĂ© qui a Ă©tĂ© Ă©crite par Guy de Maupassant et publiĂ©e en 1890. Dans le texte ci-dessous, le personnage qui prend la parole exprime son affection pour la Seine. Il remarque dans un premier temps que le fleuve est putride, ce qui ne lâempĂȘche tout de mĂȘme pas dây ĂȘtre attachĂ©. Il Ă©voque ensuite plusieurs souvenirs qui lui sont positifs comme les promenades autour du fleuve, la vision du paysage Ă diffĂ©rents horaires ou encore les soirĂ©es et les aventures quâil a pu expĂ©rimenter avec ses amis. > Guy de Maupassant, Mouche, LâInutile BeautĂ©, Louis Conard, libraire-Ă©diteur, 1908, AUTEUR Guy de MaupassantĆUVRE LâInutile BeautĂ©GENRE NouvelleĂPOQUE XIXLIEU Argenteuil STRATE SUR / AU BORD THĂMATIQUE 1 SE MOUVOIR -se promener -traverser la Seine THĂMATIQUE 2 FAIRE EN SEINE -canoter -se promener -restaurants et guinguettes -loisirs THĂMATIQUE 4 LA SEINE INTERLOPE -la Seine putride Annie Ernaux a Ă©crit La Place, roman autobiographique qui retrace ses souvenirs dâenfance Ă travers la figure de son pĂšre, le rĂ©cit sâouvre dâailleurs sur sa mort. NĂ©e Ă Lillebonne, elle grandit Ă Yvetot en Seine-Maritime oĂč la Seine se dĂ©ploie en fond pour servir de dĂ©cor ou encore de contexte au gĂ©niteur qui y a travaillĂ©. > [âŠ] > Annie Ernaux, La Place, Ă©ditions folio, 1883 AUTEUR ANNIE ERNAUX ĆUVRE La place GENRE Roman ĂPOQUE XX LIEU Lillebonne STRATE AU BORD / DANS THĂMATIQUE 2 FAIRE EN SEINE -mĂ©tiers THĂMATIQUE 3 SEINE Ă LOISIRS Restaurants & guinguettes Dans les annĂ©es 1920, lorsque Hemingway et sa jeune Ă©pouse Hadley sont arrivĂ©s dans la capitale, vous nâaviez pas besoin dâargent pour rendre chaque instant unique. Que ce soit en se promenant le long de la Seine et en rencontrant des libraires ou au bistrot de Montmartre, lâauteur nous invite Ă dĂ©couvrir ce Paris abordable et oĂč il est facile de faire des rencontres. Lâun des meilleurs endroits, pour en manger, Ă©tait un restaurant en plein air, construit au-dessus du fleuve, dans le Bas-Meudon. Nous y allions quand nous avions de quoi nous payer un petit voyage hors du quartier. On lâappelait â La PĂȘche miraculeuseâ et lâon y buvait un merveilleux vin blanc qui ressemblait Ă du muscadet. Le cadre Ă©tait digne dâun conte de Maupassant, et lâon y avait une vue sur le fleuve, comme Sisley en a peint. Mais ce nâĂ©tait pas la peine dâaller si loin pour dĂ©guster une friture de goujons. Il y en avait de dĂ©licieuses dans lâĂźle Saint-Louis. Je connaissais plusieurs des pĂȘcheurs qui Ă©cumaient les coins poissonneux de la Seine, entre lâĂźle Saint-Louis et la place du Vert-Galant, et parfois, si le ciel Ă©tait clair, il mâarrivait dâacheter un litre de vin, un morceau de pain et de la charcuterie et je mâasseyais au soleil et lisais lâun des livres que je venais dâacheter et observais les pĂȘcheurs.â Hemingway Ernest, Paris est une fĂȘte, Ă©ditions Gallimard, 1964, p 58-59. Les deux auteurs livrent, dâaprĂšs divers Ă©crits personnels ou romancĂ©s dâauteurs français du XIX siĂšcle, un tableau littĂ©raire et pictural de la Seine et des villages normands qui la bordent. Si Paris a ses banlieues Saint-Cloud, Neuilly, les bords de la Marne⊠la Normandie offre mille ressources au promeneur de lâĂ©poque. Une des bonnes adresses », en cette annĂ©e 1925, pour le Rouennais avides dâair pur, câest la rive droite de la Seine, avec ses Ăźles, qui sont autant de restaurants champĂȘtres » ⊠et ses auberges. Et il faut voir, le dimanche, les promeneurs dĂ©barquer au ponton en rang serrĂ©s, venus de Rouen par vapeur », tandis que les voitures progressent paisiblement sur la route qui longe la Seine. Les plus pauvres dâentre eux se contenteront de remplir leurs yeux et leurs poumons, en se promenant le long du fleuve, en famille ou avec des amis, ou en amoureux, et en sâasseyant dans lâherbe fraĂźche qui habille les talus. ⊠Ici et lĂ , on reconnaĂźt quelques peintres Ă leur attirail, chevalets et boĂźtes de couleurs. Ils goĂ»tent un repos bien mĂ©ritĂ©, aprĂšs avoir reproduit sur leurs toiles encore fraĂźches de peinture les brumes matinales et la luminositĂ© douce de ce coin de Normandie ; et peut-ĂȘtre ne rĂ©sisteront-ils pas, tout Ă lâheure, Ă lâenvie dâimmortaliser les lueurs finissantes du soleil irradiant la Seine et ses mĂ©andres. ⊠Laissons EugĂšne Noel en dĂ©crire le site, en 1894, dans son livre Rouen, Rouennais, Rouenneries Assise poĂ©tiquement au bord de la Seine, les pieds dans lâeau, sur un coteau faisant face au midi, la vieille ville, Rouen autrefois Ratumakos voit son beau fleuve dĂ©crire devant elle ses courbes gracieuses. ⊠Que de voyageurs Ă Rouen, sur cette rive gauche de la Seine, ont Ă©tĂ© saisis de vertige en visitant ces ateliers immenses oĂč tout sâagite et tourne sous vos yeux, tremble sous vos pas, oĂč lâon a le bruit infernal de centaines de mĂ©tiers dirigĂ©s par des centaines dâouvriers ou dâouvriĂšres. Quel contraste entre cette rive manufacturiĂšre, tĂŽt industrialisĂ©e, et la vieille rive droite, qui voit, au sortir de Rouen, se blottir les villages fleuris de Croisset, Dieppedalle, Biessard et le Val de La Haye, entre fleuve et falaise. Câest dâailleurs cette falaise qui fait obstacle Ă lâenvahissement de lâindustrie. Certes, quelques usines se sont dĂ©jĂ bien implantĂ©es, et cela parait bien normal Ă une Ă©poque oĂč lâindustrialisation semble la solution idĂ©ale pour le progrĂšs et le bien-ĂȘtre de tous, mais lâampleur du paysage offert par la Seine, les navires et bateaux Ă cette rive droite du fleuve tout son charme et son attrait. » Dominique Bussillet, Fabien Persil, Seine du passĂ© Promenade littĂ©raire et picturale au fil de la Seine de Rouen au Val de la Haye, Vire C. Corlet, 1999 AUTEUR Dominique Bussillet, Fabien Persil EPOQUE XX GENRE Ecrits de voyages LIEU 1 Rouen LIEU 2 La Haye LIEU 3 Canteleu Etc STRATE AU BORD / SUR THĂMATIQUE 1 SE MOUVOIR â nager â se promener â naviguer THĂMATIQUE 2 FAIRE EN SEINE â mĂ©tier â industrie â commerce THĂMATIQUE 3 SEINE A LOISIRS â plaisirs â canoter â restaurants et guinguettes Gaspard, personnage principal du roman Une Ăducation libertine, quitte sa ville natale quimpĂ©roise aprĂšs le dĂ©cĂšs de son pĂšre pour monter Ă la conquĂȘte de Paris. Il rencontre la Seine aprĂšs avoir dĂ©ambulĂ© dans les rues de la capitale, et câest un vĂ©ritable tableau que Jean-Baptiste Del Amo peint sous les yeux Ă©bahis » de son personnage et de ses lecteurs Puis la Seine fut lĂ , son odeur de vase, la monstruositĂ© de son agitation portuaire. Gaspard sâarrĂȘta, Ă©bahi. Le flot noir exhalait une frĂ©nĂ©sie qui sâĂ©tendait, une pieuvre lançant ses tentacules Ă lâassaut de la ville. Fiacres et carrosses se talonnaient sur les rives. Les cochers, vĂ©ritables harpies, fouettaient et hurlaient Ă plein gosier. La populace se massait lĂ , grouillait comme dâune termitiĂšre, avançait par vagues sur les berges. Ă quai, les bateaux dĂ©gorgeaient de marchandises dans des caisses de bois que des marins musculeux et braillards soulevaient Ă bout de bras. [âŠ] Au bord de lâeau, les lingĂšres, fichus vissĂ©s sur leurs crĂąnes furibonds, plongeaient jusquâaux coudes draps et haillons, savonnaient, frottaient, essoraient. Elles rĂ©pandaient une mousse Ă la couleur indĂ©finissable qui descendait pesamment le Fleuve. [âŠ] Plus loin, on ouvrait les guinguettes, les auberges se vidaient de leurs hĂŽtes Ă demi reposĂ©s et parfaitement fauchĂ©s. Montant et descendant les rives, les porteurs dâeau feintaient la cadence infernale, se jetaient Ă lâeau, emplissaient les seaux, sâarrachaient des flots, couraient en sens inverse. Les passeurs plantaient leurs barques entre les bateaux. Ils embarquaient la foule des travailleurs de lâautre rive, sâengueulaient, frappaient lâeau Ă grands coups de pagaie, filaient au travers du Fleuve, Ă©vitaient lâinĂ©vitable la collision, lâaccident, le naufrage. Il nâĂ©tait pas rare quâun homme tombĂąt Ă lâeau, fĂ»t entraĂźnĂ© par le courant ou les profondeurs du Fleuve. On usait alors de perches en bois. Mais la longueur et le poids de lâinstrument rendaient le maniement pĂ©rilleux, et il arrivait quâĂ dĂ©faut de sauver le misĂ©reux, la perche le transperçùt ou lâassommĂąt, achevant ainsi dâen faire un noyĂ©. Jean-Baptiste Del Amo, Une Ă©ducation libertine, Gallimard, 2009, p. 37 Dans son rĂ©cit La DifficultĂ© dâĂȘtre 1947, Jean COCTEAU Ă©voque son lieu de naissance Maisons-Laffitte. La Seine fait partie du dĂ©cor de lâenfance, Ă lâaurore du XXe siĂšcle, sublimĂ© par le souvenir. Je suis nĂ© le 5 juillet 1889, place Sully, Ă Maisons-Laffitte. Maisons-Laffitte est une maniĂšre de parc dâentraĂźneurs semĂ© de villas, de jardins, dâavenues de tilleuls, de pelouses, de plates-bandes, de jets dâeau sur les places. Le cheval de course et la bicyclette y rĂ©gnaient en maĂźtres. On y jouait au tennis les uns chez les autres, dans un monde bourgeois que lâaffaire Dreyfus divisait. La Seine, lâallĂ©e dâentraĂźnement, le mur de la forĂȘt de Saint-Germain oĂč lâon pĂ©nĂštre par une petite porte, des coins Ă lâabandon oĂč jouer aux dĂ©tectives, le camp en contrebas, les guinguettes Ă tonnelles, la foire du village, le feu dâartifice, les prouesses des pompiers, le chĂąteau de Mansart, ses herbes folles et ses bustes dâempereurs romains, tout composait pour lâenfance un domaine propre Ă flatter cette illusion quâelle a de vivre dans des lieux uniques au monde. Jean COCTEAU, La DifficultĂ© dâĂȘtre [1947], ?? Dans La Force de lâĂąge, Simone de Beauvoir relate son expĂ©rience de professeure de philosophie Ă Rouen entre 1932 et 1937. Ă lâoccasion dâune visite de Jean-Paul Sartre, elle visite le MusĂ©e des Beaux-arts, et est saisie par le spectacle dâune toile de Luminais reprĂ©sentant la lĂ©gende des EnervĂ©s de JumiĂšges. La lĂ©gende raconte le chĂątiment que le roi Clovis II a infligĂ© Ă ses deux fils pour avoir tentĂ© dâusurper le trĂŽne alors quâil Ă©tait en croisade. Il leur fait trancher les tendons, et, depuis Paris, les laisse dĂ©river sur un bateau sur la Seine. Le bateau finit sa course Ă JumiĂšges, oĂč le fondateur de lâabbaye les recueille. Cette lĂ©gende a fait lâobjet de nombreuses reprĂ©sentations picturales, elle a aussi inspirĂ© les Ă©crivains, et est Ă©voquĂ© par Ronsard La Franciade, Proust A la Recherche du temps perdu, Maurice Leblanc La Comtesse de Cagliostro, Guy de Maupassant Fort comme la mort, Dominique Noguez Dandy de lâan 2000, entre autres. Je tombai en arrĂȘt devant un tableau dont jâavais vu, enfant, une reproduction sur la couverture du Petit Français illustrĂ© et qui mâavait fait une grande impression Les ĂnervĂ©s de JumiĂšges. Jâavais Ă©tĂ© troublĂ©e par le paradoxe du mot Ă©nervĂ©, pris dâailleurs dans un sens impropre puisquâon avait en fait tranchĂ© les tendons des deux moribonds. Ils gisaient cĂŽte Ă cĂŽte sur une barque plate, leur inertie imitait la bĂ©atitude alors que, torturĂ©s par la soif et la faim, ils glissaient au fil de lâeau vers une fin affreuse. Peu importait que la peinture fĂ»t dĂ©testable ; je suis restĂ©e longtemps sensible Ă la calme horreur quâelle Ă©voquait. » Simone de BEAUVOIR, La Force de lâĂąge, Paris, Gallimard, 1960, p. 210. Dans Le FlĂąneur des deux rives 1918, qui narre la promenade rĂȘveuse du poĂšte Ă Paris, figure cette mention nostalgique des berges Ă Auteuil, autrefois habitĂ©es de bouges et de guinguettes. Apollinaire rappelle combien il a aimĂ© chanter la Seine et Ă©voque le Pont Mirabeau. Mais descendons vers la Seine. Câest un fleuve adorable. On ne se lasse point de le regarder. Je lâai chantĂ©e bien souvent en ses aspects diurnes et nocturnes. AprĂšs le pont Mirabeau la promenade nâattire que les poĂštes, les gens du quartier et les ouvriers endimanchĂ©s. Peu de Parisiens connaissent le nouveau quai dâAuteuil. En 1909 il nâexistait pas encore. Les berges aux bouges crapuleux quâaimait Jean Lorrain ont disparu. Grand Neptune », Petit Neptune », guinguettes du bord de lâeau, quâĂȘtes-vous devenus ? Le quai sâest Ă©levĂ© Ă la hauteur du premier Ă©tage. Les rez-de-chaussĂ©e sont enterrĂ©s et lâon entre maintenant par les fenĂȘtres. Guillaume APOLLINAIRE, Le FlĂąneur des deux rives, Paris, Editions de la SirĂšne, 1918, p. 20. LâĂźle des impressionnistes de Croissy est cĂ©lĂšbre pour avoir abritĂ© le cabaret flottant La GrenouillĂšre, lieu de loisirs cĂ©lĂ©brĂ© par de nombreux peintres et Ă©crivains de la seconde moitiĂ© du XIXe. Dans Calligrammes 1918, Guillaume Apollinaire, auteur du cĂ©lĂšbre poĂšme sur la Seine Le Pont Mirabeau », fait revivre le temps passĂ© de façon mĂ©lancolique. Au bord de lâĂźle on voit Les canots vides qui sâentre-cognent Et maintenant Ni le dimanche ni les jours de la semaine Ni les peintres ni Maupassant ne se promĂšnent Bras nus sur leurs canots avec des femmes Ă grosses poitrines Et bĂȘtes comme chou Petits bateaux vous me faites bien de la peine Au bord de lâĂźle Guillaume APOLLINAIRE, Il y a [1915], Ćuvres poĂ©tiques, Paris, Gallimard, 1965, p. 352. Dans le roman des frĂšres Goncourt Manette Salomon 1869, le peintre et son modĂšle, Manette, sâadonnent Ă une partie de canotage, et traversent la ville de Meudon, sur les rives de laquelle cohabitent plages de baignades et cabarets. Sur les coteaux, le jour splendide laissait tomber des douceurs de bleu veloutĂ© dans le creux des ombres et le vert des arbres; une brume de soleil effaçait le Mont-ValĂ©rien un rayonnement de midi semblait mettre un peu de Sorrente au Bas-Meudon. Les petites Ăźles aux maisons rouges, Ă volets verts, allongeaient leurs vergers pleins de linges Ă©tincelants. Le blanc des villas brillait sur les hauteurs penchĂ©es et le long jardin montant de Bellevue. Dans les tonnelles des cabarets, sur le chemin de halage, le jour jouait sur les nappes, sur les verres, sur la gaietĂ© des robes dâĂ©tĂ©. Des poteaux peints, indiquant lâendroit du bain froid, brĂ»laient de clartĂ© sur de petites langues de sable; et dans lâeau, des gamins dâenfants, de petits corps grĂȘles et gracieux, avançaient souriants et frissonnants, penchant devant eux un reflet de chair sur les rides du courant. Souvent aux petites anses herbues, aux places de fraĂźcheur sous les saules, dans le prĂ© dru dâun bord de lâeau, lâĂ©quipage se dĂ©bandait; la troupe sâĂ©parpillait et laissait passer la lourdeur du chaud, dans une de ces siestes dĂ©braillĂ©es, Ă©tendues sur la verdure, allongĂ©es sous des ombres de branches, et ne montrant dâune sociĂ©tĂ© quâun morceau de chapeau de paille, un bout de vareuse rouge, un volant de jupon, ce qui flotte et surnage dâun naufrage en Seine. Jules et Edmond de GONCOURT, Manette Salomon 1869, Paris, Gallimard, 1995, p. 182 FOLIO En 1875, lâĂ©crivain amĂ©ricain Henry James sĂ©journe en Europe et adresse au Journal Tribune des chroniques de voyage. 20 textes sont consacrĂ©s Ă Paris et Ă ses environs, publiĂ©s en volume sous le titre Esquisses parisiennes. La Seine, tant par la beautĂ© de ses paysages que par les loisirs quâelle autorise, Ă©merveille lâauteur. Il est question ici dâune guinguette Ă Auteuil. Je me suis livrĂ© lâautre jour Ă une idylle peu coĂ»teuse en prenant le vapeur Ă deux sous qui descend la Seine jusquâĂ Auteuil une trĂšs brĂšve traversĂ©e, et en dĂźnant, sur le quai du fleuve, dans ce que lâon appelle en jargon parisien une guinguette. [âŠ] La Seine est large Ă Auteuil ; elle est enjambĂ©e par un majestueux viaduc Ă deux rangs dâarches, qui sâĂ©lĂšve vers le ciel dâune maniĂšre pittoresque et monumentale. Votre table est dressĂ©e sous un treillis qui vous gratte la tĂȘte â dressĂ©e essentiellement avec une friture de poissons â et un vieil homme qui a lâair dâun exilĂ© politique de grand style se plante devant vous pour pousser une chansonnette plaintive sur le respect dĂ» aux cheveux blancs. Vous attestez, par le don de quelques sous, de lâestime que les siens vous inspirent, et il est rapidement remplacĂ© par un estropiĂ©, un manchot, qui vous sert quelque chose de plus gai A la bonne heure ! Parlez-moi de ça ! ». Vous rentrez enfin Ă Paris, sur un fourgon Ă chevaux. Henry JAMES, Esquisses parisiennes [1875], Paris, La DiffĂ©rence, 1988, p. 231 La Normandie a souvent servi de dĂ©cor aux rĂ©cits de Guy de Maupassant. La fascination de lâĂ©crivain pour lâeau, incarnĂ©e par exemple par son goĂ»t du canotage, est trĂšs palpable dans les descriptions, noires ou lumineuses, quâil consacre Ă la Seine. Les villes bordant le fleuve sont si trĂšs nombreuses dans lâĆuvre, quâil est possible de dessiner un fil rouge reliant Paris au Havre en naviguant dâun rĂ©cit Ă un autre. Lâaction de la nouvelle La Femme de Paul » se dĂ©roule sur lâĂźle de Croissy abritant le cabaret flottant La GrenouillĂšre, lieu de loisirs cĂ©lĂ©brĂ© par de nombreux peintres et Ă©crivains de la seconde moitiĂ© du XIXe. Aux abords de la GrenouillĂšre, une foule de promeneurs circulait sous les arbres gĂ©ants qui font de ce coin dâĂźle le plus dĂ©licieux parc du monde. Des femmes, des filles aux cheveux jaunes, aux seins dĂ©mesurĂ©ment rebondis, Ă la croupe exagĂ©rĂ©e, au teint plĂątrĂ© de fard, aux yeux charbonnĂ©s, aux lĂšvres sanguinolentes, lacĂ©es, sanglĂ©es en des robes extravagantes, traĂźnaient sur les frais gazons le mauvais goĂ»t criard de leurs toilettes; tandis quâĂ cĂŽtĂ© dâelles des jeunes gens posaient en leurs accoutrements de gravures de modes, avec des gants clairs, des bottes vernies, des badines grosses comme un fil et des monocles ponctuant la niaiserie de leur sourire. LâĂźle est Ă©tranglĂ©e juste Ă la GrenouillĂšre, et sur lâautre bord, oĂč un bac aussi fonctionne amenant sans cesse les gens de Croissy, le bras rapide, plein de tourbillons, de remous, dâĂ©cume, roule avec des allures de torrent. Un dĂ©tachement de pontonniers, en uniforme dâartilleurs, est campĂ© sur cette berge, et les soldats, assis en ligne sur une longue poutre, regardaient couler lâeau. Dans lâĂ©tablissement flottant, câĂ©tait une cohue furieuse et hurlante. Les tables de bois, oĂč les consommations rĂ©pandues faisaient de minces ruisseaux poisseux, Ă©taient couvertes de verres Ă moitiĂ© vides et entourĂ©es de gens Ă moitiĂ© pris. Toute cette foule criait, chantait, braillait. Les hommes, le chapeau en arriĂšre, la face rougie, avec des yeux luisants dâivrognes, sâagitaient en vocifĂ©rant par un besoin de tapage naturel aux brutes. Les femmes, cherchant une proie pour le soir, se faisaient payer Ă boire en attendant; et, dans lâespace libre entre les tables, dominait le public ordinaire du lieu, un bataillon de canotiers chahuteurs avec leurs compagnes en courte jupe de flanelle. Guy de MAUPASSANT, La femme de Paul », La Maison Tellier [1881], Paris, Gallimard, 1990, p. 209 FOLIO La Bouille fut au XIXe siĂšcle un lieu de villĂ©giature prisĂ©e des Rouennais et des Parisiens. Hector Malot, qui en est originaire, y consacre notamment de magnifiques pages dans son roman Sans Famille. Dans la nouvelle La vache tachetĂ©e », lâĂ©crivain et polĂ©miste Octave Mirbeau, se moque avec truculence du goĂ»t des Rouennais pour la Bouille, pour fustiger notamment le théùtre social de la bourgeoisie. La Bouille est, sur la Basse-Seine, un petit village, frĂ©quentĂ© des Rouennais et des gens dâElbeuf. Il nâa de particulier que cette faveur qui, on ne sait pourquoi, le dĂ©signe Ă la passion des excursionnistes et villĂ©giaturistes dĂ©partementaux. Par un phĂ©nomĂšne inexpliquĂ©, La Bouille leur procure, paraĂźt-il, lâillusion dâune plage et le rĂȘve dâune mer. De Rouen ou dâElbeuf, on assiste Ă cette folie des familles partant pour La Bouille, les petits avec des haveneaux et des paniers oĂč le mot crevettes » est brodĂ© en laine rouge ; les grands coiffĂ©s de chapeaux Ă la Stanley, armĂ©s de lorgnettes formidables, et tout pleins de cette religieuse attention que donne la promesse des grands horizons maritimes et des bonnes brises salĂ©es. Or, Ă La Bouille, la Seine nâest pas plus large quâĂ Vernon ou au Pont-de-lâArche. En revanche, elle y est moins accidentĂ©e. Elle coule, lente et coutumiĂšre, entre deux berges expressĂ©ment fluviales, que hantent les gardons et les chevennes, poissons terriens sâil en fut. Et cependant, pour peu que vous causiez cinq minutes avec un Rouennais de Rouen ou un Elbeuvien dâElbeuf, il vous dira Comment, vous ne connaissez pas La Bouille !⊠Mais il faut aller Ă La Bouille, il faut dĂ©jeuner Ă La Bouille ! La Bouille ! La Bouille ! » Quand il a dit La Bouille ! il a tout dit. Quand il est allĂ© Ă La Bouille, il a tout fait. Dans lâarriĂšre-boutique, emplie de la poussiĂšre du coton, dans lâasphyxiante odeur de lâusine, La Bouille se prĂ©sente Ă son esprit comme une sorte de Nice normande, de Sorrente occidentale, dâĂźle lointaine et fĂ©erique, ceinturĂ©e de plages dâor et frangĂ©e dâĂ©cume rose, oĂč sont des fleurs, des poissons et des oiseaux, comme il nâen existe dans aucun coin Ă©quatorial.. Octave MIRBEAU, La Vache tachetĂ©e [1890], Paris, Flammarion, 1921, p. 59 Ămile ZOLA a aimĂ© sĂ©journer en bord de Seine. En 1878, il fit lâacquisition dâune maison Ă MĂ©dan, oĂč il vĂ©cut et Ă©crivit jusquâen 1902. Dans le roman ThĂ©rĂšse Raquin, ThĂ©rĂšse et Laurent, qui sont amants, dĂ©cident dâassassiner Camille, devenu un Ă©poux encombrant. Ils profitent dâun dĂźner dans une guinguette sur les rives de Saint-Ouen pour proposer une promenade en canotier. Laurent va noyer Camille. La scĂšne du meurtre est prĂ©cĂ©dĂ©e par une Ă©vocation oppressante et crĂ©pusculaire eu fleuve. Laurent prit les rames. Le canot quitta la rive, se dirigeant vers les Ăźles avec lenteur. Le crĂ©puscule venait. De grandes ombres tombaient des arbres, et les eaux Ă©taient noires sur les bords. Au milieu de la riviĂšre, il y avait de larges traĂźnĂ©es dâargent pĂąle. La barque fut bientĂŽt en pleine Seine. LĂ , tous les bruits des quais sâadoucissaient; les chants, les cris arrivaient, vagues et mĂ©lancoliques, avec des langueurs tristes. On ne sentait plus lâodeur de friture et de poussiĂšre. Des fraĂźcheurs traĂźnaient. Il faisait froid. Laurent cessa de ramer et laissa descendre le canot au fil du courant. En face, se dressait le grand massif rougeĂątre des Ăźles. Les deux rives, dâun brun sombre tachĂ© de gris, Ă©taient comme deux larges bandes qui allaient se rejoindre Ă lâhorizon. Lâeau et le ciel semblaient coupĂ©s dans la mĂȘme Ă©toffe blanchĂątre. Rien nâest plus douloureusement calme quâun crĂ©puscule dâautomne. Les rayons pĂąlissent dans lâair frissonnant, les arbres vieillis jettent leurs feuilles. La campagne, brĂ»lĂ©e par les rayons ardents de lâĂ©tĂ©, sent la mort venir avec les premiers vents froids. Et il y a, dans les cieux, des souffles plaintifs de dĂ©sespĂ©rance. La nuit descend de haut, apportant des linceuls dans son ombre. Les promeneurs se taisaient. Assis au fond de la barque qui coulait avec lâeau, ils regardaient les derniĂšres lueurs quitter les hautes branches. Ils approchaient des Ăźles. Les grandes masses rougeĂątres devenaient sombres; tout le paysage se simplifiait dans le crĂ©puscule; la Seine, le ciel, les Ăźles, les coteaux nâĂ©taient plus que des taches brunes et grises qui sâeffaçaient au milieu dâun brouillard laiteux. Camille, qui avait fini par se coucher Ă plat ventre, la tĂȘte au-dessus de lâeau, trempa ses mains dans la riviĂšre. âFichtre! que câest froid! sâĂ©cria-t-il. Il ne ferait pas bon de piquer une tĂȘte dans ce bouillon-lĂ . Laurent ne rĂ©pondit pas. Depuis un instant il regardait les deux rives avec inquiĂ©tude ; il avançait ses grosses mains sur ses genoux, enserrant les lĂšvres. ThĂ©rĂšse, roide, immobile, la tĂȘte un peu renversĂ©e, attendait. » Ămile ZOLA, ThĂ©rĂšse Raquin [1867], citation extraite du Livre de poche », 1984, p. 87 GĂ©ocritique de la Seine
ï»żLeschapeaux Ă©lĂ©gants. La capeline figure parmi les grands chapeaux volumineux avec ses bords larges et souples. Il convient au mariage chic et rappelle les belles actrices des films des annĂ©es 1950. Le bibi est le petit chapeau fĂ©minin, par excellence. TrĂšs sophistiquĂ©, il se porte sur le cĂŽtĂ© et est souvent accompagnĂ© dâune voilette.
Vous avez envie de vous Ă©vader le temps d'une soirĂ©e et de profiter du beau temps ? Direction la guinguette ! Mais avant cela, il va falloir trouver LA tenue idĂ©ale. Pas de panique, on est lĂ pour vous aider. Suivez nos conseils et votre soirĂ©e sera inoubliable !La robe idĂ©ale pour une soirĂ©e guinguetteAvez-vous dĂ©jĂ eu un problĂšme de choix de robe pour une soirĂ©e guinguette ? Si oui, cet article est fait pour vous ! Dans la premiĂšre partie, nous allons voir quelle est la robe idĂ©ale pour une soirĂ©e guinguette. Ensuite, nous verrons comment s'habiller pour une soirĂ©e guinguette en suivant quelques conseils robe idĂ©ale pour une soirĂ©e guinguette est sans doute la petite robe noire. Une LBD Ă©lĂ©gante et chic qui vous fera sentir Ă l'aise tout en Ă©tant trĂšs glamour. Cependant, si vous cherchez quelque chose de plus original et de moins classique, voici quelques autres options Une robe imprimĂ©e avec des couleurs vives cela donnera du peps Ă votre look ! Une mini jupe patente ou un short en jean destroy seront parfaits pour danser toute la nuit ! Enfin, si vous souhaitez mettre en avant votre silhouette, optez pour une robe moulante accompagnĂ©e d'un chapeau Ă larges bords. Comment s'habiller pour une soirĂ©e guinguette ?Pour une soirĂ©e guinguette, la robe idĂ©ale serait fluide et colorĂ©e. Elle doit Ă©galement ĂȘtre assez longue pour pouvoir danser sans problĂšme. Les imprimĂ©s fleuris sont parfaits pour ce type de soirĂ©e ! Les accessoires ne doivent pas trop encombrer ni alourdir votre look privilĂ©giez les petites boucles d'oreilles et un bracelet lĂ©ger. Vous pouvez aussi ajouter une touche vintage avec une casquette ou un bandana nouĂ© autour du accessoires indispensables pour une soirĂ©e guinguetteLa soirĂ©e guinguette est un moment de dĂ©tente et de plaisir. Pour profiter pleinement de ces moments, il est important de bien s'y prĂ©parer. Voici les accessoires indispensables Ă ne pas oublier pour passer une bonne soirĂ©e soirĂ©e guinguette est une soirĂ©e oĂč l'on danse, chante et s'amuse. Il est donc important de bien s'habiller pour ĂȘtre Ă la hauteur ! Voici les accessoires indispensables Un panier en osier avec des provisions champagne, vin, fromage, pain⊠Des chaises pliantes ou des tabourets De jolies serviettes en papier Une nappe Ă carreaux si possible Des lanternes Des bougies De la musique . Comment s'habiller pour une soirĂ©e guinguettePour une soirĂ©e guinguette, il faut choisir des vĂȘtements confortables et colorĂ©s. Les imprimĂ©s floraux sont parfaits pour cet Ă©vĂ©nement. N'oubliez pas les accessoires indispensables comme les chapeaux de paille, les lunettes de soleil et les boucles d'oreilles assorties !Le maquillage parfait pour une soirĂ©e guinguetteVous avez reçu une invitation pour une soirĂ©e guinguette et vous ne savez pas comment vous maquiller ? Pas de panique ! Dans cet article, nous allons vous donner les astuces indispensables pour rĂ©aliser un maquillage parfait en toute occasion. Le maquillage qui fera de vous la reine de la soirĂ©e !Pour mettre toutes les chances de votre cĂŽtĂ© et ĂȘtre la reine de la soirĂ©e, suivez nos conseils maquillage ! Tout dâabord commencez par une base lisse et Ă©clatante en appliquant un bon fond de teint. Nâoubliez pas le contouring pour donner du relief Ă vos joues. soulignez ensuite vos beaux yeux avec du mascara et du crayon noir puis ajoutez un peu de fard Ă paupiĂšre sur les coins extĂ©rieurs grĂące au smokey-eye. Ăgayez le tout avec un rouge Ă lĂšvres colorĂ© ou nude selon votre goĂ»t mais nâen mettez pas trop, on est loin des envies guindĂ©es des bals costumĂ©s ! Les astuces pour un maquillage parfait en toute occasionPour un maquillage parfait en toute occasion, il faut d'abord se dĂ©maquiller et nettoyer sa peau. Ensuite, on applique une crĂšme hydratante pour prĂ©parer la peau au maquillage. On commence par le teint on choisit une couleur de fond de teint qui convient Ă notre carnation et on l'applique avec un pinceau ou un Beauty Blender. Puis, on travaille les yeux on pose une base sur toute la surface de la paupiĂšre, puis on applique le fard Ă paupiĂšres de notre choix en commençant par le coin interne de l'oeil. On termine en mettant du mascara sur les cils supĂ©rieurs ET infĂ©rieurs. Pour finir, on s'occupe des lĂšvres on commence parles contours avecun crayonĂ lĂšvrepuisdessiner lestraits finsdes contours labialset finalementappliquerlapipette delipglosspour donnerplusdâvolumeauxlevrĂ©s!
dTCCY. p27e0bppdf.pages.dev/505p27e0bppdf.pages.dev/221p27e0bppdf.pages.dev/479p27e0bppdf.pages.dev/553p27e0bppdf.pages.dev/324p27e0bppdf.pages.dev/36p27e0bppdf.pages.dev/178p27e0bppdf.pages.dev/54
chapeau de paille porte au temps des guinguette